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Précision : Fella’s choice a été publié en 1974 au Nigeria et n’a pas été réédité depuis. Il est donc difficile de s’en procurer un exemplaire. Il n’a pas été traduit en français. Le fait qu’il soit considéré comme l’un des premiers romans policiers (ou d’espionnage) africains justifie sa place ici.

Fella’s Choice raconte une mission de Fella Dandogo, un jeune officier nigérian du bureau du contre-espionnage de l’OUA1, qui doit intercepter et détruire à Abidjan un chargement de faux nairas, la monnaie nigériane, qu’une organisation suprématiste, le BOSS, veut largement diffuser pour affaiblir l’économie du pays. En déstabilisant le Nigeria, un pays à l’économie prometteuse, le BOSS souhaite couper court au développement de l’Afrique subsaharienne et permettre son contrôle par les Blancs à partir d’un constat simple : puisque le monde occidental est surpeuplé et surexploité, il faut faire de l’Afrique aux vastes espaces et aux immenses richesses une colonie de peuplemement2 avec un régime politique, économique et social inspiré de l’Afrique du Sud ou de la Rhodésie, en n’hésitant pas à se débarrasser de dirigeants incompétents et même de la population autochtone3, réduite au rang « d’animaux sauvages » par le responsable des opérations de l’organisation.

Bien que les hommes constituant sous l’autorité du colonel Blacklock le noyau dur du groupe – un journaliste, un pasteur, un militaire, un scientifique, un économiste – soient britanniques, Kole Omotoso s’est inspiré de l’Afrikaner Broederbond, une ligue fraternelle secrète vouée à la promotion des intérêts de la communauté Afrikaner en Afrique du Sud. Il crée ainsi une structure dépassant les intérêts étatiques pour assurer sa domination sur le monde (ou du moins une partie du monde), là où les officines nationales comme la CIA ou le KGB ont échoué. En créant le SPECTRE que combat James Bond, Ian Flemming n’a pas fait autre chose.

Dans Fella’s choice, Omotoso développe l’idée que les rivalités idéologiques entre l’Est et l’Ouest ne sont que des leurres et que le problème crucial auquel sont confrontés les Africains est leur survie face aux colonisateurs. S’ils ne veulent pas connaître le sort des Indiens d’Amérique ou des Aborigènes d’Australie, ils doivent s’organiser : « Il faut faire quelque chose » résume Fella, qui fait le choix de s’engager au service de son pays et du Continent africain.

À l’école, puis à l’université, il avait tout accepté, se posant peu de questions, acceptant tout ce qu’on lui faisait ingurgiter. Et puis, ce fut la Grande-Bretagne. Ou plutôt, comme on disait au pays, l’Angleterre. Ce fut là qu’il comprit qu’il ne pouvait pas tout accepter. Mais cela ne lui vint que quand il eut terminé la première partie de son diplôme. Et c’est quand il commença à travailler sur son projet de recherche qu’il se mit à lire de plus en plus de choses qui l’éloignaient de son sujet. Il se rendit compte qu’il devait remettre pas mal de choses en question. Et qui plus est, cette remise en question devait être radicale ! La violence, la force, voilà le langage que tout le monde comprenait. Le feu, il fallait que ce soit aujourd’hui. Ou alors, cela n’arriverait jamais. (Traduction Jean-Paul Martin)

Même si Fella est un héros sympathique aux solides qualités physiques et intellectuelles (il a renoncé à une carrière universitaire), ce roman d’espionnage n’est pas toujours crédible, péchant par des approximations dans le déroulement de l’intrigue, des scènes d’action sans grand suspense, des personnages stéréotypés et une conclusion un peu rapide. En dépit de ces faiblesses le roman mérite d’être lu, en gardant à l’esprit la date de sa parution. Avant tout parce que c’est l’un des premiers romans policiers parus en Afrique, deux ans après Le flic à la chenille de James McClure, même si l’on est plutôt ici dans le registre de l’espionnage et de la lutte contre des manœuvres de déstabilisation. Mais, en imaginant une structure de renseignement de l’OUA, Omotoso pose les bases d’une force d’intervention panafricaine spécifique, une idée reprise dans Les archives secrètes du B.S.I. ou dans Les disparus d’Abomé.

Le roman apporte par ailleurs un éclairage sur les pratiques politiques et sociales africaines, par exemple la place des femmes dans la société avec le personnage de Joko, qui appuie Fella dans sa mission, ou l’incompétence des dirigeants et leur propension à favoriser leurs intérêts personnels. Avec Fella’s Choice, Omotoso ouvre la voie dès 1974 à ce que sera le roman policier africain : témoigner et dénoncer à travers des histoires accessibles à tous.

Kole Omotoso, Fella’s Choice © Benin City (Nigeria), Ethiope Pub. Corp., 1974.

 

1 - L’Organisation de l'unité africaine (OUA), créée en 1963 et dissoute en 2002, a précédé l’Union africaine. Si la décolonisation et la lutte contre la politique sud-africaine rapprochaient les membres de l’Organisation, celle-ci se révéla toutefois peu efficace dans la lutte contre le régime sud-africain de l’apartheid.

2 - Au 19e siècle, Français, Espagnols et Italiens d’Algérie et de Tunisie, Boers et Britanniques d’Afrique du Sud, de Rhodésie et du Kenya, Portugais d’Angola et du Mozambique, Allemands de Namibie s’emparent des terres et organisent le travail forcé.

3 - Ce fut la politique de l’Allemagne en Namibie avant 1915.

 

Tag(s) : #Ingérence & déstabilisation, #Nigeria, #Romans en anglais, #Afrique de l'Ouest
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