Gabriel Latyr Faye, un jeune inspecteur de la Division des enquêtes criminelles de Dakar, brillant mais têtu, est muté en Casamance pour insubordination après son refus de libérer le gros trafiquant de drogue qu’il traquait depuis deux ans. Mais l’enquête qui lui a valu son exil le rattrape dès son arrivée dans la sous-région. Celle-ci doit en effet faire face aux actions violentes menées d’une part par des groupes indépendantistes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) devenus par opportunisme financier passeurs de cocaïne pour les narcotrafiquants colombiens, et d’autre part par les « chasseurs du Nord », des hommes aux méthodes brutales dont la « philosophie est d’attaquer ceux qui troublent la paix pour protéger les plus vulnérables », ici des villageois menacés par le projet d’implantation d’une exploitation de zircon dans les dunes protégeant leur territoire de l’océan. Cela donne une situation explosive favorable aux alliances de circonstance et aux compromissions entre chasseurs, rebelles, groupes armés, militaires et politiciens impliqués dans les trafics.
- On a conclu un marché avec eux. On leur fournit la contrebande qui transite par notre territoire, en échange, ils n’y mènent aucune activité.
- Où est ce territoire ?
- Sur la côte, entre Abéné et la frontière gambienne. (2025-131)
Étincelles rebelles part d’une situation fréquente dans le roman policier africain, celle de l’enquêteur venu de la ville confronté à une société rurale attachée à ses coutumes. Mais si l’ex-inspecteur Faye a du mal à d’adapter, il trouve rapidement aide et soutien en la personne d’Aguene, une jeune journaliste engagée contre les trafics et la corruption. Leur combat devient vite commun et le jeune policier n’hésite pas à désobéir à ses supérieurs pour mener l’enquête à sa manière.
Macadou Attolodé s’inspire de la situation politique, économique et sociale du Sénégal pour construire un roman qui ne fait pas l’impasse sur les conditions que connait le pays : mauvais état des routes et des hôpitaux, structures administratives défaillantes, projets d’exploitation minière ne tenant pas compte des conditions de vie des populations… Mais c’est avant tout l’alliance des hommes politiques avec des groupes mafieux pour parvenir au sommet du pouvoir qu’il met en avant. Ce qui amène Faye et la jeune journaliste à prendre des risques et à chercher des appuis parmi des groupes peu préoccupés de légalité. Ils peuvent aussi compter sur des aides plus surprenantes, comme celles d’abeilles tueuses ou d’une mystérieuse panthère.
Le bourdonnement s’accentua. Les abeilles surgirent alors du kapokier qui soutenait encore la carcasse de l’hélicoptère et s’amassèrent au-dessus d’eux. La nuée s’épaissit au point que l’on peinait à voir le ciel au travers.
- Le sang a assez coulé ! Posez tous vos armes !
La voix s’accompagna cette fois d’un rugissement rauque. Une panthère descendit d’un bond du kapokier. Son pelage bicolore caractéristique ne laissait aucun doute. Il s’agissait de la panthère de Kagoundia. Commandait-elle aux abeilles ? (2025-356)
Étincelles rebelles fait habilement appel à tous les ressorts du roman policier à suspense, alternant les coalitions basées sur la confiance et les trahisons, les batailles meurtrières et les empoisonnements, les scènes d’action et les rebondissements (certains un peu prévisibles). Cela sonne un roman autant policier que d’aventures, qui, n’opposant pas les bons et les méchants et se gardant bien de juger, montre bien la complexité de l’âme humaine et pose la question de la légitimité de la violence.
Les romans policiers écrits aujourd’hui par des auteurs africains et ayant le Continent pour cadre ne sont pas nombreux, si l’on excepte les romanciers sud-africains. Chez les francophones, citons Janis Otsiemi et Florent Couao-Zotti et, plus récemment, Marie-Françoise Ibovi. Étincelles rebelles est donc à saluer. Il correspond à la spécificité du genre telle que j’ai tenté de la définir1 : à partir d’une œuvre de fiction, poser un regard lucide sur l’Afrique contemporaine face à ses problèmes, la trahison des politiques, les trafics et l’exploitation des ressources, l’affrontement entre la tradition et de la modernité. Ce premier roman de Macadou Attolodé est à découvrir.
1. Jean-Paul Martin, Le roman policier africain – Regards critiques sur des société en mutation, Presse de l’Université Laval, 2024.
Macadou Attolodé, Étincelles rebelles © Gallimard - Coll. Série noire, 2025.
Merci aux éditions Gallimard et la Série noire de m’avoir permis de lire ce roman avant sa parution, prévue le 9 janvier 2025.