Après leur départ (forcé) des Hawks, le corps le plus prestigieux de la police sud-africaine, et leur mise au placard, le duo d’enquêteurs bien connu des lecteurs de Deon Meyer a finalement rejoint l’unité Crimes graves et violents de Stellenbosch, une ville proche du Cap. Pour leur première enquête dans cette structure, l’assassinat sauvage d’un ancien membre des forces spéciales, ils vont être confrontés à une affaire qui dépasse vite le niveau du simple homicide et implique des personnes au plus haut niveau de l’Etat.
Parallèlement, le roman se concentre sur une jeune femme, Christina Jaeger, guide de brousse dans une réserve de l’Okavango, recrutée par des malfrats bien organisés, anciens eux aussi des forces spéciales, qui préparent ce qui pourrait bien être le casse du siècle. Mais si seul l’appât du gain les motive, l’un d’entre eux, Tau Berger, est aussi animé par l’esprit de vengeance.
Accessoirement, Benny Griessel continue sa lutte contre l’alcoolisme et prépare son mariage avec Alexa tandis que Vaughn Cupido essaie de se débarrasser de kilos superflus.
Une fois de plus Meyer s’inspire brillamment de la situation politique de l’Afrique du Sud — ici la captation de l’Etat (State capture) — pour proposer un roman policier haletant. Il est donc fait référence à des scandales autour de pots-de-vin sur des contrats gouvernementaux ayant bénéficié à des entreprises et à des serviteurs de l’Etat et qui ont éclaboussé un ancien président de la république associé à des hommes d’affaires de la communauté indienne. Si les événements imaginés par Meyer vont au-delà de la réalité (ce qu’il explique en fin de volume) il n’en reste pas moins que les exactions commises ont de quoi indigner des citoyens qui, alors que l’apartheid avait pris fin, espéraient une société juste, équitable et diversifiée.
Meyer confirme dans ce quinzième roman (le neuvième de la série Griessel) son habilité à capter l’attention du lecteur en mêlant les scènes d’action, les points de vue (d’où les noms des différentes parties), les intrigues et les sous-intrigues. En alternant les descriptions de la préparation des braquages et de l'enquête méthodique des deux policiers (on notera la précision des détails dans les deux cas) et en brossant les portraits de Christina et d’un Tau Berger bien décidé à se venger dans le sang, il donne au roman un rythme soutenu jusqu’à la conclusion.
Enfin, il prouve qu’un roman policier peut être passionnant tout en apportant des informations sur la société qui lui sert de cadre. Par contre, pour apprécier certains détails et mieux comprendre des éléments de l’intrigue, le lecteur étranger doit disposer d’une connaissance, même sommaire, de la situation économique et politique de l’Afrique du Sud. Si les scandales liés à la corruption déjà mentionnés peuvent être familiers à certains, il n’en va pas de même pour ces nuisances permanentes que sont les fréquentes coupures d’électricité (load shedding) et l’état des routes (pot holes). Si le petit glossaire à la fin du roman est appréciable, quelques notes ne seraient pas de trop pour le lecteur.
Leo est un roman détaillé et argumenté à l’intrigue complexe et aux nombreux rebondissements dans lequel le lecteur ne se perd jamais. Deon Meyer montre une fois encore qu’en plus d’aborder les questions sociales et économiques et de donner ainsi un bon aperçu des problèmes qui affectent la vie quotidienne en en Afrique du Sud, il reste un maître de la construction romanesque.
Deon Meyer, Leo, trad.fr de Leo, 2023) © Gallimard Série Noire, 2024.
Merci aux Editions Gallimard et à la Série Noire de m’avoir fait découvrir ce roman avant sa parution en librairie.
Madam and Eve, l’excellente bande dessinée de Stephen Francis, Rico Schacherl et Harry Dugmore, apporte avec humour des éclaircissements utiles sur la vie quotidienne en Afrique du Sud.