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Quand des casques bleus chargés de surveiller l’avancement du processus de paix à l’issue de la guerre civile au Mozambique explosent inexplicablement à Tizangara, il y a de quoi se poser des questions. Et encore plus quand la seule trace visible sur le lieu des disparitions est un pénis coupé, « un sexe membré et démembré », retrouvé dans les endroits les plus insolites, au milieu d’une route ou collé à la pale d’un ventilateur.

L’élucidation du mystère est confiée à Massimo Risi, un inspecteur italien des Nations Unies. Tout un monde s’agite autour de lui : un interprète désigné par Estevao Jonas, l’administrateur du district ; l’épouse de celui-ci, Dona Ermelinda, autoproclamée Première Dame ; un prêtre en colère contre Dieu ; un sorcier expert en sorts divers ; une envoutée au corps de jeune fille et au visage de vieillarde ; le vieux Sulplicio, père de l’interprète. Sans oublier Ana Deusqueira, la prostituée du village, « la plus compétente connaisseuse des mâles locaux », promue experte en identification de membres virils. Personne n’est de trop pour guider l’Italien dans une enquête qu’il voudrait rationnelle. Mais le monde de Tizangara a des lois qu’il a bien du mal à saisir : « Je peux parler et comprendre. Le problème, ce n’est pas la langue. Ce que je ne comprends pas, c'est ce monde d'ici. » (2009 : 39)

Dans ce court roman, sous prétexte d’une investigation, Mia Couto évoque, directement ou par touches implicites, la colonisation portugaise au Mozambique, les mouvements de libération et la guerre civile (opposant le FRELIMO marxiste et le RENAMO soutenu par l’Afrique du Sud, elle fit près d’un million de morts entre 1976 et 1992), l'interventionnisme des puissances occidentales et la désillusion générale face à la corruption et à l’incurie des anciens héros de l'Indépendance. Le dernier vol du flamant n’est pas pour autant uniquement un roman politique, les difficultés que rencontre Massimo Risi dans son enquête étant l’occasion d’aborder le conflit entre modernité et tradition, l’opposition du profane et du sacré, la frontière ténue entre le réel et le magique.

Utilisant une langue qui qui est celle de l’oralité, Couto n’hésite pas à créer de toutes pièces des mots et des expressions et même à mettre en question la valeur de l’écrit : les notes de l’enquêteur italien s’effacent on ne sait comment ni pourquoi ; l’administrateur se souvient de tout mais n’aime pas « écrire par écrit » ; Sulplicio parle par énigmes et proverbes – « Les faits ne sont authentiques qu’après les avoir inventés. » – pour invoquer les ancêtres ; le sorcier croit à la puissance des légendes transmises depuis la nuit des temps ; le prêtre vocifère contre celui qu’il doit servir. Ce sont autant de mots qui s’envolent que Risi doit attraper pour essayer de comprendre. Y parviendra-t-il, lui l’étranger dont personne ne souhaite la présence et alors que la saudade s’empare de lui et que tous avancent leur propre explication, logique, magique et même sexuelle ?

Ainsi, tout le monde accourut, personne ne se détourna. La journée entière un cercle curieux mijota des rumeurs. On véhicabulait des doutes, on décochait des ordres :

Que quelqu’un ramasse… la chose, avant qu’elle ne soit déchiquetée.

Déchiquetée ou déchi-queue-tée ?

Le pauvre type est devenu boiteux du centre !

La cohue-bohu bouillonnait, bazarinant. Nous étions dans un état de stupeur, lorsque quelqu’un aperçut suspendue dans le ciel une casquette bleue. (2009 : 13-14)

Fable onirique mêlant la farce et le merveilleux, roman d’énigme fantastique, critique politique, réflexion sur le destin des hommes et du pays qu’ils habitent, Le dernier vol du flamant se conclut sur une note d’espoir, symbolisée par la transformation en oiseau de papier de la feuille sur laquelle l’inspecteur italien avait écrit son rapport. L’espoir que le chaos « né de la confiscation de l’espoir par la cupidité des puissants » puisse engendrer une nouvelle réalité, un nouveau pays et de nouveaux hommes. A l’image du flamant de la légende qui a su se sacrifier pour inventer le soleil couchant et, ainsi, la nuit qui précède le jour.

Mia Couto, Le dernier vol du flamant, trad. fr. de O ultimo voo di flamingo (2000) © Paris, Chandeigne, 2009.

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Tag(s) : #Afrique australe, #Romans en portugais, #Mozambique, #Pouvoir central & droit coutumier
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