Neighbours - Lília Momplé (1995)

Neighbours (Les voisins), le seul roman traduit en français de la Mozambicaine Lilia Momplé (née en 1935), raconte l’histoire des membres de trois familles du même immeuble de Maputo qui se retrouvent chez elles à la fin de la journée : Narguiss, qui ne s’intéresse ni à l’actualité ni à la politique mais seulement à son entourage immédiat, prépare avec ses filles le repas pour l’Aïd tout en se demandant si son mari volage les rejoindra ; Leia, Januário et leur petite fille profitent du plaisir de vivre enfin dans leur propre appartement, un luxe pour ces gens modestes dans cette période qui suit l’Indépendance ; Mena, une jeune femme, est occupée à cuisiner pour son mari, Dupont, et de mystérieux visiteurs. Quand arrive l’aube, ces vies paisibles subissent les conséquences d’une conspiration visant à déstabiliser leur pays. Tout le monde ne se réjouit pas en effet de la libération du joug colonial, surtout le puissant voisin sud-africain, qui traque, au Mozambique comme en Angola, les membres de l’African National Council et les soutiens de Nelson Mandela.

Zaliua termine sa cigarette et s’installe à table, suivi de Mena. Dupont est le dernier à s’assoir, espérant peut-être que les Sud-Africains changeraient d’idée. Mais ceux-ci restent avachis dans les fauteuils club, le « vrai Sud-Africain » affichant un air absent et mi-angoissé, et Rui dévisageant la maîtresse de maison comme si personne d’autre n’existait dans la pièce. A table, Mena touche à peine la nourriture et Dupont aussi a perdu l’appétit. La seule chose qu’il regrette, c’est l’argent dépensé pour ce somptueux banquet donné en l’honneur de ces Sud-Africains qui non seulement sont arrivés avec près de deux heures de retard, mais refusent de manger. Seuls Romu et Aliua semblent savourer avec plaisir le repas.

– Mister, encore un whisky ? demande brusquement Dupont en remarquant le verre vide de Rui.

« Ce type est vraiment une merde, pense Romu. La seule chose qu’il manque, c’est que les Boers lui crachent au visage ! Ils ne veulent même pas de sa bouffe et le type continue avec délicatesse : Mister veut un whisky ? Mister veut des glaçons ?... Ça me donne envie de gerber. (2007 : 143)

En courts chapitres qui sont autant d’instantanés, Momplé décrit les trois appartements et les activités de leurs occupants, tout en s’attachant à fournir des détails précis sur ce qu’a été et est leur existence : le destin mouvementé de Narguiss, la fille de bonne famille blessée par la vie ; le quotidien banal du jeune couple  qui parvient tout juste à survivre mais garde l’espoir ; le drame qui pointe pour Mena qui, en écoutant des bribes de la discussion entre Dupont, ses amis et leurs comparses sud-africains, comprend que quelque chose de grave est en train de se préparer. Le roman bascule alors dans le thriller politique jusqu’à l’issue fatale que Mena ne pourra l’empêcher tout en contribuant à ce que les responsables soient identifiés.

Entre l’évocation du passé douloureux de certains des protagonistes et du présent précaire des autres, Neighbours se déroule dans l'environnement instable d’un pays aux infrastructures et aux services publics défaillants, en proie à la corruption, aux abus de pouvoir, à la violence politique, aux pénuries. À cela s'ajoute le poids d’une histoire et d’un héritage colonial que viennent compliquer les luttes fratricides et la menace des ingérences étrangères. La force du roman est de ne pas proposer ouvertement un discours politique mais de montrer à partir d’une intrigue d’espionnage la vie quotidienne et le destin des occupants d’un immeuble de l’avenue Emilia Dausse de Maputo. Le tableau est sombre, même si au bout de la nuit et du récit, Mena, consciente qu’elle fait « ses premiers pas vers une vie nouvelle et imprévisible », peut espérer connaître enfin, comme son pays, un avenir meilleur.

Lilia Momplé, Neighbours, trad. fr. de Neighbours (1995) © Québec, Les Allusifs, 2007.

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