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Écrit en 1970, La vie en spirale n’a été publié en deux volumes par les Nouvelles Editions Africaines (NEA) de Dakar qu’en 1984 et en 1988, Abasse Ndione expliquant ce délai par la piètre opinion qu’avaient alors les éditeurs africains du genre policier. Redécouvert en 1998, le roman fut publié dans la Série Noire et présenté comme un des premiers romans noirs africains écrit en français.

Dans ce roman écrit à la première personne, Amuyaakar Ndooy, un jeune chauffeur de taxi clandestin accro au yamba, le chanvre sénégalais, raconte comment, suite à une pénurie d'herbe, il se lance à partir de la Gambie dans le commerce et devient un fournisseur (sipikat) que revendeurs et consommateurs s’arrachent. Ses affaires prospèrent jusqu’à ce que sa rencontre avec des personnages mal intentionnés fasse basculer la success story (certes illégale) dans le cauchemar.

En plus d’être un très bon roman noir, La vie en spirale propose une analyse lucide – « Je plonge dans la société. Je n’invente rien » écrit Ndione – d’une société corrompue qui traque les consommateurs (les développeurs) tout en fermant les yeux sur des trafics dans lesquels sont impliqués des « hauts placés » du monde des affaires et de l’administration. Personne n’y échappe, même pas le Calife d’une importante Confrérie : « L’interdiction du yamba n’est mentionnée dans aucune sourate du Saint Coran ni dans aucun hadith du Prophète Mohammed, paix et salut sur Lui. » (1998 : 282)

Lors de sa sortie au Sénégal, Il fut reproché à La vie en spirale d’être une apologie de la consommation et de la diffusion du chanvre. Une critique qu’anticipe Ndione en précisant au début de l’édition de 1998 qu’il s’agit d’une œuvre purement imaginaire1 tout en reconnaissant que son livre s’appuie sur la pure réalité. Le roman dresse en effet le portrait d’une société inégalitaire dont une partie peine à survivre (avec son activité de « taxi clando », Amuyaaka assure difficilement sa subsistance et celle de trois autres personnes) et peut être tentée par l’illégalité.

Cependant, bien que très ambitieux, je n’avais jamais eu la prétention de rêvasser en « coups de canon2. Ceux que je venais de gagner grâce au trafic de yamba me déroutaient un peu. Pendant cinq ans, j’avais travaillé dur sans pouvoir faire aucune économie. Moins de deux semaines de sipikat m’avait fait millionnaire. (1998 : 71)

La communauté musulmane de pêcheurs à laquelle appartient le jeune homme est par ailleurs traditionaliste, ce qui l’amène avec ses amis à s’en détourner par tous les moyens. Le long passage dans lequel les jeunes du village s’opposent à son chef, le Jaraaf, au griot et aux anciens est sur ce point édifiant et montre que leur révolte ne consiste pas uniquement à « développer » et à fréquenter les bars de la ville proche, mais qu’elle a des raisons plus profondes : les arguments des jeunes vantant les mérites d’une substance « magique » aux nombreux pouvoirs s’opposent ainsi au discours officiel qui condamne l’alcool et le yamba, celui-ci étant considérée comme une substance qui rend fou et responsable d’événements comme le braquage meurtrier d’une banque ou la défaite de l’équipe nationale de football. Comme le montre Désiré Nyela, La vie en spirale reprend ici tous les codes du roman noir, ce qui n’est pas courant dans le roman policier africain :

Rage de la violence, frénésie du sexe, amoralité des personnages, corruption et dévoiement des institutions… Tous éléments à partir desquels le roman noir fait son miel et qu’Abasse Ndione conjugue avec bonheur dans La vie en spirale ; un roman dont on peut redire avec Boileau et Narcejac qu’il est celui du criminel, sous les traits ici d’Amuyaakar Ndooy, voyou sympathique, narrateur anti-héros, seul miraculé d’un cyclone narratif dévastateur, un destin en spirale, placé sous le signe de la volupté du yamba3.

Enfin, Ndione fait preuve d’une invention langagière débridée mêlant le français à l’argot sénégalais des junkies ainsi qu’à des termes empruntés au wolof, sa langue maternelle, rendant ainsi son écriture particulièrement forte. Une énergie que l’on retrouve dans Ramata, paru en 2000, une longue fresque sur le destin d’une femme d’une beauté remarquable fracassée par la vie, assurément l’un des plus beaux romans africains.

1. Aïda Mady Diallo use du même argument pour justifier la vengeance meurtrière de son héroïne dans Kouty, mémoire de sang.

2. Millions (CFA)

3. D. Nyela, La filière noire, Dynamiques du polar « made in Africa », 2015, p. 147.

Abasse Ndione, La vie en spirale © Gallimard, Collection Série noire, 1998

Tag(s) : #Sénégal, #Romans en français, #Afrique de l'Ouest
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