La découverte dans la case d'un village isolé du corps de N’Zo Nikiema, le président d'un pays africain qui n'a pas survécu à un coup d’état, relance le mystère sur le viol et la mort quelques années auparavant de la petite Kaveena, la fille unique de Mumbi, artiste peintre et maîtresse du président déchu.
Quand le roman débute, le colonel Asante Kroma, chef de la police politique chargé d'arrêter Nikiema après l’avoir fidèlement servi, le trouve mort dans l’atelier de Mumbi, puis découvre divers documents, dont un journal intime ou plutôt une longue lettre de justification à l’intention de la jeune femme. Enfermé dans la case dans un tête-à-tête macabre, le colonel se remémore le passé et revit l’histoire de l’accession au pouvoir de son ancien chef, tout en tentant de reconstituer les circonstances de sa mort.
Kroma est vite amené à démêler les sombres secrets d’un système dont il a été le serviteur loyal. N’a-t-il pas contribué à l’arrivée au pouvoir de N’Zo Nikiema et n’a-t-il pas été complice de toutes les exactions pour le maintenir en place ? Que sait-il du meurtre rituel de Kaveena et de ses commanditaires, ces « hommes forts qui ont les moyens de financer de telles opérations », et que va-t-il trouver en fouillant le passé ? Deux intrigues convergent, l’une reconstituant le parcours politique d’un homme parti de rien pour devenir un président avide et corrompu, l’autre rappelant le destin atroce de Kaveena, victime d’un assassinat visant à satisfaire les appétits de pouvoir de politiciens sans scrupules. Mais la mort de la petite fille ne demeurera finalement pas complètement impunie, les meurtriers, dans leur arrogance et leur assurance de l’impunité, n’ayant pas pris en compte la fierté d’une famille qui refusera le prix du sang et la détermination d’une mère à se venger d’un homme et, à travers lui, d’un système.
Aussitôt après avoir posé la question, j’ai compris qu’il voulait parler de la mallette. Cette fois-là, j’ai ri de bon cœur. Ce vieux m’était décidément sympathique. Quant à lui, ses yeux pétillaient d’une malice quasi enfantine. C’était vraiment un homme extraordinaire. Cela ne m’étonne pas aujourd’hui que sa fille Mumbi ait fini par tenir l’ancien président sous son pouvoir. J’avais compris dès cette époque que nous n’en finirions pour ainsi dire jamais avec le meurtre de Kaveena. C’était simple : Castaneda n’a pas eu de chance. Il n’a juste pas tué la bonne petite fille.
Récit politique et policier, Kaveena est un long monologue lucide, précis et désespéré, dans lequel Boubacar Boris Diop décrit en détail l’histoire d’une Afrique meurtrie et humiliée par ses colonisateurs – ces hommes conscients « de représenter chez un peuple soumis une race et une nation supérieures. » – puis par ses propres enfants. Tombée entre les mains de politiciens prêts à tout, elle doit composer avec des dictateurs sans pitié pour leurs ennemis comme pour ceux qui ont été un jour leurs amis ou leurs alliés. Dans un monde où l'innocence est absente et qui se décompose, comme pourrissent les provisions amassées dans le bunker souterrain de Nikiema, Kroma essaie de comprendre avant que le destin ne le rattrape à son tour. Craignant pour sa propre vie – « Ma propre mort rôde d’ailleurs autour de moi car je ne vois pas comment je pourrais sortir d’ici sain et sauf. » –, terré dans ce qui est devenu un mausolée étouffant de chaleur et de puanteur, entouré de portraits inachevés de Kaveena peints pas sa mère, le brillant colonel n'est plus lui aussi qu’un mort vivant, égrenant les vérités comme les mensonges et revenant sur une histoire qui ne cesse et ne cessera de se répéter.
Finalement, ça ne s’est pas bien passé pour moi, la vie. J’ai manqué mon idéal : n’avoir jamais vécu. Oui, c’était la meilleure chose qui aurait pu m’arriver : rien. Le plus beau des rêves en définitive.
Boubacar Boris Diop, Kaveena © Paris, Philippe Rey, 2006.