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Podor © Philippe Delbos

Quand une belle jeune femme est retrouvée noyée dans le fleuve Sénégal à Podor, les habitants la prennent pour la femme de l’Esprit du fleuve. Mais quand Paulanne Mar, journaliste dans un magazine à scandale de Dakar, venu couvrir ce qu’il pense être un banal fait divers, reconnaît la victime, Ami Wade, un mannequin célèbre, il cherche à découvrir ce qui a amené Ami dans la région et quelles peuvent être les causes de sa mort.

Le mannequin de bois est le récit d’une enquête menée au jour le jour. Les recherches de Paulanne, un garçon débrouillard et tenace qui ne veut pas de surcroit se mettre à dos un rédacteur en chef tyrannique, le conduisent à Séane, dans une boucle du fleuve, où les habitants ne sont guère disposés à parler à « l’homme de Dakar », encore moins quand celui-ci essaie de savoir pourquoi Néné Galé Sall, une « femme qui n’est pas une femme » et qui semble avoir des liens avec la victime, mène une vie de recluse à l’écart du village.

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Podor © Philippe Delbos

Une partie des réponses est fournie par le journal intime d’Ami, que sa sœur jumelle Amina confie à Paulanne, et dont le roman livre des extraits. Le jeune journaliste y découvre l’histoire de deux fillettes séparées à la naissance, l’une restant avec sa mère et l’autre confiée à une tante, et surtout la difficulté d’Ami à vivre « normalement » et à accepter la beauté d’un corps convoité par les hommes : « Je déteste mon corps ! A cause des compliments qu’il me valait et qu’il ne méritait pas. Les hommes ne voyaient que lui. Ils ne me voyaient pas, moi ! » Cela permet à l’Abdoulaye Ndiaye d’aborder avec empathie la question de l’excision, devenue illégale dans de nombreux plusieurs pays africains (le roman est de 2001, deux ans après que le Sénégal ait légiféré), mais qui continue à être pratiquée :

Une femme doit toujours subir cette épreuve quand elle est petite fille. Sinon, elle reste impure toute sa vie. Elle sera esclave de son corps. Elle sera aussi esclave des hommes car son corps commandera son corps et sa tête. Tant qu’elle n’est pas purifiée, une femme n’est ni femme ni homme. Si elle n’est pas purifiée, elle ne sera jamais, jamais, femme ! Elle ne sera pas respectée par les autres femmes, ni par les hommes. Aucun homme ne voudra jamais l’épouser. Elle fuira son village pour ne pas mourir de honte et du mépris des gens. 

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Podor © Philippe Delbos

Le Mannequin de bois parle avec une grande pudeur de cette expérience traumatisante et ose la confronter à celle de la circoncision. Dans une longue conversation entre Paulanne et Amina, les deux jeunes gens racontent ce qu’ils ont l’un et l’autre subi, le traumatisme et le rituel qui y est attaché, « deux histoires qui se ressemblaient comme deux gouttes de sang ».  

Magnifiquement construit et d'une belle écriture (le chapitre reprenant des extraits du journal d’Ami, stylistiquement trop proche de la narration de Paulanne, perd toutefois un peu de sa crédibilité), Le mannequin de bois mêle le journalisme d’investigation à une réflexion courageuse de Ndiaye sur la pratique de l’excision, ici considérée à la fois comme une manière de contrôler la sexualité féminine et de maintenir une identité et une tradition culturelle. C’est aussi un roman d’apprentissage pour Paulanne, sur sa capacité à regarder la réalité de face et à l’accepter.

Abdoulaye Ndiaye, Le mannequin de bois © Paris, L'Harmattan, coll. Encres noires, 2001.

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Tag(s) : #Romans en français, #Sénégal, #Afrique de l'Ouest
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