Revoici les deux flics favoris de Deon Meyer : rétrogradés au grade de lieutenant pour avoir pris un peu trop de libertés dans une enquête et agacé des agents de la SSA, l’Agence de sécurité de l’Etat, Benny Griessel et Waughn Cupido sont exclus des Hawks et mutés à Stellenbosch, au cœur des vignobles sud-africains. Ils se voient confier une première enquête sur la disparition de Callie de Bruin, un jeune étudiant en informatique, hacker à ses heures. Dans le même temps, Jasper Boonstra, un richissime homme d’affaires à la réputation douteuse, contacte Sandra Steenberg, la jeune et ambitieuse employée d’une agence immobilière, pour mettre sur le marché une propriété viticole de grande valeur. L’homme est dur en affaires et pratique volontiers le harcèlement moral et sexuel, mais la juteuse commission qu’elle espère empocher rend Sandra prête à affronter tous les dangers. D’autant plus qu’elle est criblée de dettes… Les deux affaires semblent très éloignées l'une de l'autre jusqu'au moment où il apparait que la disparition de Callie pourrait être liée à un trafic d’armes au sein de la police, ce qui propoulse Griessel et Cupido en première ligne.
Meyer fait une fois de plus preuve de son grand grand talent tant dans la construction de son récit autour des deux (et bientôt trois) affaires que dans la description de l’environnement géographique, politique et social. En premier lieu, le lecteur découvre Stellenbosch, une ville à part, avec sa prestigieuse université et les vignobles qui l’entourent. La société sud-africaine est bien présente, comme toujours chez l’auteur, avec les affaires de corruption qui la minent. Le romancier va ici plus loin et évoque une « captation de l’Etat » impliquant un président affaibli par des scandales (une référence implicite à l’ex président Jacob Zuma et à ses relations avec la toute-puissante famille Gupta). Un sujet qui éclipse ici celui des tensions sociales et interraciales qui ont encore bien du mal à s’apaiser en Afrique du Sud, même si Griessel, Cupido et les flics qui les entourent constituent un monde à part, où l’unité et l’harmonie semblent régner autour du devoir à accomplir.
J'ai consacré toute ma carrière à lutter contre la criminalité. Au cours des centaines d'affaires traitées au fil des ans, mon seul objectif a été de coincer les contrevenants. Je reconnais que je n'ai pas toujours exercé mes fonctions selon les critères fixés par mes supérieurs ou selon les règles préconisées par les services de la police sud-africaine. Mais à chaque décision difficile, j'ai essayé sincèrement de me demander de quelle façon servir la justice. (2022 : 47-48)
S’il n’apporte pas grand-chose de nouveau à l’œuvre de Meyer et à la série Benny Groessel, Cupidité est un bon polar au rythme soutenu et avec une progression de l’enquête qui, sans être haletante, est efficace. Toutefois la fin du roman est décevante car trop prévisible avec son « happy end », même si le tout dernier paragraphe apporte une note de suspense bien venue. Côté vies personnelles et familiales, on retiendra que Griessel poursuit avec rigueur son combat contre la bouteille et cherche à se rapprocher de son fils alors que Cupido se lance dans une lutte contre les kilos superflus. Mais Meyer ne tombe jamais dans le travers de nombreux romans policiers (et séries) d’aujourd’hui qui laissent l’intrigue policière disparaitre en partie derrière l’évocation de la vie privée des protagonistes.
En résumé, on retrouve dans Cupidité les points forts de la série des enquêtes (ici la septième) de Benny Griessel : un roman policer classique de procédure dans lequel Meyer intègre habilement un commentaire social et politique sur l'état troublant d’une Afrique du Sud minée par les kleptocrates, la corruption des entreprises, du monde politique et aussi de la police. Avec comme toujours, grâce à Griessel et Cupido, quelques lueurs dans la nuit.
Deon Meyer, Cupidité, trad. fr de Donkerdiff (2020, © Paris, Gallimard, coll. Série Noire, 2022.
Merci à Gallimard et à la Série Noire pour m’avoir permis de lire ce roman en avant-première.