Véronique Bangoura avait certainement de bonnes raisons de tuer son militaire de père qui avait tenté d’abuser d’elle. Mais, à son grand étonnement, personne ne se soucie de la rechercher. Jusqu’au jour où, alors qu’elle a trouvé refuge chez la mère d’une amie de rencontre, un homme mystérieux vêtu d’une saharienne rouge s’attache à ses pas. La rencontre qui suivra sera riche en surprises et en révélations.
Tierno Monémembo alterne avec bonheur dans Saharienne indigo le récit à la première personne des deux tranches de la vie de Véronique. Ses années de jeunesse à Conakry après le meurtre de son père sont marquées par l’aide que lui apportent Yâyé Bamby, une femme généreuse et pleine d’initiative et sa fille, Diaraye, tout aussi débrouillarde et sans grands scrupules quand il s’agit de gagner sa vie. C’est elle qui introduit Véronique dans le monde de la nuit où de belles jeunes filles égayent dans les night -clubs et les maquis de la capitale de riches touristes et hommes d’affaires pour mieux les détrousser. Quelques années plus tard, en France, sa vie est marquée par sa rencontre au Quartier Latin d'une mystérieuse Française, Mme Corre, dont la vie a aussi été marquée par les événements dramatiques qu’a connus la Guinée de Sékou Touré. Il s’ensuit des relations d’abord difficiles voire conflictuelles mais que le partage de souvenirs douloureux rendra plus chaleureuses, car Véronique n’hésitera pas à user de ses relations au pays pour tenter de retrouver le fils de sa nouvelle amie.
La question au centre de Saharienne indigo est de savoir qui l’on est réellement quand, du fait de circonstance dramatiques (après la mort brutale de ses parents, Véronique a été adoptée sous le nom de Fatou) ou de par la volonté d’être une autre (Mme Corre se présente parfois sous d’autres noms), les identités deviennent « mouvantes ».
- Ah ! Vous voyez, nos vies sont presque jumelles. Alors j’ai bien fait de vous importuner, un après-midi d’hiver, rue Mouffetard. Vous n’auriez pas su sinon que nous avons tant de choses en commun.
- Jetées toutes les deux dans cette aventure brutale dont parle Simone de Beauvoir.
- Il n’y a pas que ça. Notre identité est mouvante : nous allons sans cesse toutes les deux d’un personnage à l’autre.
- Oui, mais moi, on m’a imposé mes rôles, tandis que vous, vous vous les êtes choisis. (2002 : 181)
Bien que Saharienne Indigo ait obtenu en septembre 2022 le quatrième Prix Moussa Konaté du roman Policier francophone de Limoges, son auteur ne propose pas stricto sensu une affaire criminelle suivie d’une enquête. Véronique connaît d’ailleurs l’impunité pour le meurtre de son père, tout comme pour d’autres indélicatesses moins sérieuses mais pareillement condamnables. En revanche, à partir d’une intrigue romanesque, il décrit une période où la Guinée a été soumise à l’arbitraire : emprisonnements non motivés, enfants arrachés à leurs parents, tortures et exécutions sommaires dans le sinistre camp Boiro, ici appelé le camp B.
Le roman de Terno Monémembo s’inscrit dans cette littérature de la dénonciation qui caractérise le roman policier africain : une littérature qui, à partir d’une affaire criminelle, aussi mince qu’elle soit, propose une analyse et une réflexion sur le pouvoir politique et la société de pays depuis la décolonisation, qui conduit souvent comme ici à une vision particulièrement négative de l’humanité :
Cela me donne envie de vous répéter ce que j’ai souvent dit à Philippe : « Hitler, Staline, Sékou Touré, Franco, Pinochet, Pol Pot ne sont ni des chiens, ni des cochons, ni des hyènes, ni, ni des poux, ni des ours polaires, ni des araignées. Ce sont des hommes, ce sont nos frères de de sang. C’est vous et moi ! » (2002 : 201)
Mais aussi, comme dans La mort du lendemain de Jérôme Nouhouaī (Bénin), Trop de soleil tue l’amour de Mongo Betty (Cameroun) ou encore L’homme aux pataugas de Jean-Pierre Makouta-Mboukou (Congo), à refuser l’oubli :
C’est sur le terrain de la mémoire que nous avons une chance ultime de gagner. Si nous perdons dur ce terrain là alors nous aurons légitimé tous les camps de concentration, ceux d’hier et d’aujourd’hui, ceux de demain. Les salauds ! La mémoire, Madame Corre, c’est la seule arme qu’ils redoutent. (2022 : 253)
Tierno Monémembo, Saharienne indigo © Seuil 2022.