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Frakas raconte l’histoire de trois hommes qui se sont vaguement connus dans le passé (mais qui n’en ont pas gardé que de bons souvenirs), que le hasard réunit dans une aventure africaine, camerounaise plus précisément, et qui vont devoir s’associer et s’entendre pour sauver leur peau : Luc Blanchard, un ancien de la Brigade criminelle, reconverti dans le journalisme, part pour Yaoundé enquêter sur l’assassinat d’un leader indépendantiste ; Antoine Luccessi, tenancier de bistrot à Marseille et passeur de drogue, part en urgence pour retrouver son cuisinier camerounais et surtout un document important que ses patrons lui réclament ; Sirius Volkstrom est déjà sur place et essaie de faire oublier un passé militaire encombrant en formant des recrues locales.

L’une des caractéristiques du roman policier africain (un roman écrit par un auteur du Continent) est d’utiliser ce genre littéraire populaire pour aborder des questions politiques, économiques ou sociales. Les exemples sont nombreux : Mongo Beti (Trop de soleil tue l’amour), Guy Josué Foumane (Les disparus d’Abomé) ou Simon Njami (Cercueil et Cie) pour ne citer que des écrivains camerounais. De la même manière, Thomas Cantaloube prend comme base de l’enquête de Blanchard les « événements » au cours desquels, de 1955 à 1962, l’Union des populations de Cameroun (UPC) a combattu par les armes la puissance coloniale puis, après l’Indépendance en 1960, un régime fantoche asservi politiquement, économiquement et militairement à la France. Cette guerre de libération devenue guerre civile a fait des dizaines de milliers de morts selon plusieurs sources.

L’originalité ici est de situer l’action de Frakas cinquante ans en arrière, en 1962 exactement. Si l’on excepte les Sud-Africains James McClure1 et Wessel Ebersohn2, dont les romans ont été écrits à l’époque de l’apartheid, aucun auteur africain de romans policiers ne paraît avoir choisi l’époque coloniale comme cadre d’une intrigue. Même Mongo Beti, dont les premiers textes très engagés politiquement datent du milieu des années cinquante et qui n’a choisi d’écrire un roman policier qu’en 1999, situe Trop de soleil tue l’amour dans la période post-coloniale. Avec Frakas, les lecteurs sont donc plongés au cœur d’événements mal connus de l’histoire de l’Afrique : peu de gens aujourd’hui s’intéressent à cette période et, à l’époque, la France avait les yeux plutôt tournés vers d’autres « événements » en Algérie.

Thomas Cantaloube revient ainsi sur les manœuvres des politiques et le rôle des militaires en ce tout début des années soixante et sur les méthodes employées : arrestations arbitraires, torture et exécutions sommaires, villages rasés, populations déplacées… Il montre aussi que cette volonté de contrôler et de dominer le Cameroun s’appuie sur des réseaux dissimulés (le SDECE en particulier, dont les agents jouent un rôle central dans Frakas) pour organiser des groupes d’influence qui seront actifs dans d’autres Etats et qui constitueront ce qu’on appellera la Françafrique. Pour rendre l’histoire plus véridique, le roman mêle à des personnages fictifs des personnalités bien réelles de la vie politique d’alors, comme un ancien Haut-Commissaire devenu Premier ministre de la Cinquième république, le maire d’une grande ville du sud de la France ou l’un des proches conseillers pour les affaires africaines du Président de la république. Que leur rôle soit public ou occulte, tous s’agitent pour servir les intérêts de la France… quand ce ne sont pas les leurs.

Dans ce contexte, tous les moyens sont bons pour garder la mainmise sur les affaires et l’on comprend qu’un fouineur comme Luc Blanchard n’est pas le bienvenu à Yaoundé. Lui et ses camarades de circonstance ont donc fort à faire pour mener à bien leurs missions respectives. De courses poursuites urbaines en fuite à travers la forêt, dans une 2 CV hors d’âge ou en hélicoptère, le roman devient vite un roman d’aventures. Au lecteur de découvrir l’issue de ce roman à suspense qui se lit avec plaisir.

Bien que l'auteur ait intégré dans ce second roman son expérience de journaliste d’investigation et d’essayiste, on peut regretter qu’il n’ait pas développé une analyse en profondeur de la situation. Mais, plutôt que de proposer au lecteur un travail historique documenté à l’image de Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971)3, il a choisi de passer par un genre littéraire qui lui donne une plus large audience et inscrit son roman dans la littérature de dénonciation qui caractérise le roman policier africain.  

Merci à Gallimard et à la directrice de la « Série noire » de m’avoir fourni l’occasion de ce commentaire.

Thomas Canteloube, Frakas, Gallimard, coll. Série Noire, 2021.


1 - Le chien qui chante, Le cochon qui fume et Le flic à la chenille sont parus dans la « Série Noire ».

2 - Coin perdu pour mourir, la première enquête de Yudel Gordon, un psychiatre rattaché au ministère de la Justice, date de 1979.

3 - Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsita, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), Paris, La découverte, 2010.

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Tag(s) : #Cameroun, #Afrique centrale, #Romans en français
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