Commencé comme un roman policier de procédure (et de police scientifique) – une enquête sur un meurtre crapuleux – Les disparus d’Abomé enchaine sur la mission de deux agents de l’Agence africaine d`investigation (AIA), un organisme panafricain regroupant des policiers et des scientifiques de tout le continent et dont le siège est à Johannesburg. Guy Josué Foumane développe ici l’idée d’une structure supranationale de lutte contre le crime organisé, imaginée par Jean-Pierre Dikolo et ses compagnons d’écriture dans Les Archives secrètes du BSI.
Tabuwé Ateh Ndi est un jeune feyman1 qui, après avoir bu un verre dans un bar, trouve une mort horrible : des flots de sang s`échappent de tous les orifices de son corps, des parcelles de sa peau craquent, sa chair se décompose pour devenir un magma purulent et nauséabond. Chargée d’appuyer la police camerounaise, l’AIA se livre dans un premier temps à une traditionnelle investigation de procédure : recherche d’indices, filatures et enquêtes de proximités, travail scientifique et interrogatoires. Cette première partie conduit à l’arrestation des commanditaires de l’assassinat de Tabuwé, deux complices en escroquerie se vengeant de sa trahison, et à la découverte de l’origine du poison. Deux agents sont alors chargés d’une mission dans l’est du pays pour débusquer celle ou celui qui l’a élaboré.
La seconde partie entraîne le duo d’enquêteurs, le Sud-africain Jonas Arendse Mandela et la Rwandaise Zawady, dans des aventures plus proches du roman d’action ou du roman d’espionnage. Alors que des voyageurs disparaissent sans explication, peut-être victimes de coupeurs de route, et que des corps récemment inhumés sont dérobés, leur mission les conduit, après une marche harassante dans la forêt de l`Est Cameroun, jusqu’au « laboratoire » d’un inquiétant guérisseur, Agouabot, qui, protégé par de jeunes archers, réalise le redoutable poison que lui commande un forestier zimbabwéen.
Guy Josué Foumane, qui est aussi scénariste et cinéaste, alterne les genres et utilise un langage simple mais efficace dans ce roman en deux volets. Bien que l’on trouvera peut-être les deux agents et leurs collègues assez stéréotypés, tant dans leur physique et leur personnalité que dans leurs modes d’interventions, il propose un dosage subtil des incontournables de ce type de roman : de l’exotisme et du mystère, assez de suspense pour maintenir l’attention et des descriptions réalistes, parfois à la limite du supportable, des activités d’Agouabot. L’intérêt tient surtout à ce que, à partir de la réalité camerounaise – les activités des feymen, l’assassinat de l’un d’entre eux et la recherche des coupables – le roman propose une approche originale du traitement de la grande criminalité en Afrique.
« (Ce concept) respecte les codes du polar avec rythme et rebondissements, des situations cohérentes qui ne sont pas téléphonées. Son audace réside dans la mise en place d'une police inter africaine. Même si cela relève de la totale fiction, j'aime cette idée qui précède une action future dans ce sens. Pour moi qui abonde dans le sens d'une forme de panafricanisme, je me suis plu à faire fonctionner dans les équipes du bureau de l'AIA, des techniciens et inspecteurs africains : libyen, malgache, tchadien, rwandais, sud-africain et autres... L'idée d'une police scientifique fonctionnant avec de vrais moyens est-elle aussi concevable si elle est une émanation d'un projet dépassant les Etats... En fait au-delà du simple plaisir de la lecture et de l'intrigue, ce texte en fera réfléchir plus d'un. Du moins, je l'espère2. »
Roman entre procédure et aventures, assez éloigné du roman policier africain en ce qu’il ne se donne pas pour but de véhiculer un message politique ou social, Les disparus d’Abomé aborde toutefois « en passant » la question de la misère des villes et des campagnes, celle de la déforestation, du pillage des ressources et des compromissions autour de l’attribution des concessions.
1. Le feman est celui qui « fait » (fey) les autres, qui les trompe, les arnaque. Escroc voyageant sur le continent et surtout dans les pays du Golfe, magicien spécialiste de l’arnaque du multiplicateur de billets de banque à la recherche de pigeons, parfois trafiquant (or, diamants, uranium…), c’est aussi un bandit social frimeur qui étale sa richesse (comme Tabuwé). Le feyman est devenu en quelques années une figure ambiguë de la réussite socio-économique.
2. FlashMag, Entretien avec Guy Josué Foumane, 15.02.2012.