
Paru aux éditions La Nôtre à Cotonou en 1991, Où est passée Fatimata ? est la version actualisée de La vierge et le charlatan, publié, faute d’éditeur, dans Daho-express entre le 30 septembre 1972 et le 11 août 1973. D’autres textes de Dominique Titus racontant les aventures d’el adj Mamadou Sessé, dit commissaire Tonnerre, policier puis consultant pour la police béninoise – Liquidez les témoins ; A vous de jouer, Commissaire Tonnerre ; Quand la police s’en mêle – ont également été publiés en feuilleton dans ce quotidien dahoméen1 mais n’ont pas été repris sous forme de livre. Un roman plus récent, La fille vierge, a été publié en 2003 par La Nôtre.
Anselme Noukoumon, tailleur de son état, débauché et « mafioso amateur », a reçu un million et demi de francs CFA2 pour avoir « procuré » une fille « suffisamment bête pour devenir ce que vous savez » à un homme que l’on imagine important. Quelques whiskys plus tard histoire d’arroser la transaction, il est arrêté dans un bar, accusé d’avoir voulu payer avec de faux billets. La police, intriguée qu’un ivrogne comme Noukoumon dispose d’une telle fortune, lance une procédure. L’enquête prendra du temps, et le lecteur devra attendre avant de savoir qui est Fatimata et quel sort l’attendait.
Dans une Cotonou très présente, avec ses quartiers pauvres et riches, ses habitats informels et ses villas élégantes, Où est passée Fatimata ? fourmille de personnages divers, des policiers et leur chef, un mystérieux homme en boubou bleu, une diplomate française qui a créé un orphelinat pour jeunes filles en difficulté, des féticheurs escrocs et une vraie féticheuse vodun, un « évêque, grande figure du folklore béninois » et, enfin, Mamadou Sessé, l’expert en fétichisme.
A partir d’un événement banal, une méprise sur de faux billets de banque, Dominique Titus commence son roman par une enquête de routine, brouille les pistes et revient au thème qu’il souhaite développer, non pas celui des assassinats rituels mais celui de la médecine et de la guérison. Les échanges sur la magie noire et la magie blanche entre le chef de la police et la diplomate sont alors instructifs et savoureux et aussi un peu contradictoires puisque le policier s’attache à démontrer que les « vrais » féticheurs sont utiles à la société car ils savent guérir les corps et les âmes, non plus avec des « gris-gris et des prières prophylactiques » mais avec des « poudres, des tisanes, des racines et des pommades ». Si pour lui il sont donc des « écologistes avant la lettre », il n’hésite toutefois pas à avouer croire à une pratique comme la mort à distance et ne manifeste aucune surprise devant la métamorphose d’une vieille féticheuse en hibou !
Eh oui, madame, eh oui ! Il existe le meurtre à distance, en Afrique. Quand le processus est mis en marche par un féticheur, seul un autre féticheur peut conjurer le sort : la médecine moderne ne peut rien. Et les victimes, transportées parfois à grand frais par avion, meurent inéluctablement dans les hôpitaux parisiens ou américains, alors qu’un voisin féticheur, sur place, au pays, aurait pu faire le nécessaire…
Force reste toutefois à l’intrigue policière et Où est passé Fatimata ? se conclut par la résolution de l’enquête, la vérité sur le sort de Fatimata et la punition des coupables.
Bonne entrée en matière pour découvrir le monde des guérisseurs et des féticheurs, le roman de Dominique Titus est un plaidoyer en faveur des « bons » féticheurs, ce que complète en guise de conclusion l’article d’un journaliste sur l’affaire (évidemment rédigé par l’auteur) qui défend la raison contre la superstition, la médecine contre les pratiques magiques, l’effort individuel contre les interventions célestes. Tout en rappelant que les féticheurs ne prospèrent que parce que les gens vont les voir et les supplient de leur venir en aide. Comme si la rationalité avait du mal à s’imposer au pays du vodun.
Dominique Titus est l’un des rares auteurs africains à se consacrer quasiment exclusivement au roman policier. Comme il l’a confié en avril 2018 à La nouvelle tribune à l’occasion de la Fête du livre de Porto-Novo :
Moi, j’écris des romans policiers, au sens où l’entendent les puristes. C’est-à-dire que je décris des investigations menées par des enquêteurs de la police. De la police judiciaire je veux dire. Donc, dans la veine des Maigret, Navarro, Derrick, Colombo et autres Canon, qui, dans leur enquête et dans l’intérêt de la Justice, cherchent premièrement quelqu’un, autrement dit un coupable, un suspect, un complice, un disparu (celui d’un enlèvement, par exemple), deusio, quelque chose, notamment des sous, des documents, de la drogue volée… et pourquoi pas une cargaison d’essence « kpayo », entrée en fraude dans le pays. Et enfin, la vérité, comme par exemple comment a été mis en place le cannabis retrouvé dans la poche d’un tel.
Où est passée Fatimata ? illustre bien son propos. Alors que l’intrigue dans le roman policier africain n’est souvent qu’un prétexte pour pointer des problèmes sociétaux ou politiques, le lecteur entre ici d’emblée dans un vrai roman policier, avec un délit entraînant une procédure mêlant enquête, interrogatoires, filatures, etc. Ce n’est que dans un second temps que le roman prend une autre dimension avec l’arrivée du thème des guérisseurs et des féticheurs, et donc de la rivalité entre la médecine traditionnelle et les méthodes occidentales de diagnostic et de soins. Ce que résume le sous-titre « Policiers contre féticheurs » et la quatrième de couverture : « la police africaine à l'œuvre, la vie des Blancs chez les Noirs, le fétichisme qui monte et qui triomphe. »
Dominique Titus, Où est passée Fatimata? © Cotonou, La Nôtre, 1991
1 - Après son Indépendance en 1960, la République du Dahomey est devenue la République populaire du Bénin en 1975 puis la République du Bénin en 1990.
2 - 2 300 euros d’aujourd’hui et un beau pactole en 1991.