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Le western fait son entrée dans la littérature populaire africaine avec Western Tchoukoutou de Florent Couzo-Zotti, un roman qui a toute sa place dans un espace dédié au polar, le thème de la vengeance étant aussi présent dans le genre (Winchester 73 d’Anthony Mann, Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, L’homme des hautes plaines de Clint Eastwood) que dans le roman noir africain (Fruit amer d’Achmat Dangor, La mort du lendemain de Jérôme Nouhouaï, Kouty, mémoire de sang d’Aïda Mady Diallo).

Donc, Kalamity Djane (féminin de Djo, ami en français du Benin) débarque sur sa puissante moto à Natingou City où elle a quelques vieux comptes à régler. Comment en effet oublier ce que les trois affreux de la ville, un flic pourri, un bouvier violent et le patron du saloon local, lui ont fait subir quand elle était Nafissatou Diallo ?

La moto faisait un bruit d’enfer, comme si elle avait été arrachée à un cimetière d’engins morts puis retapés avec des pièces recyclées. Kalamity Djane roulait lentement sur la chaussée, les yeux mangés par de grosses lunettes noires, les mains gantées, fixées sur les deux poignées. De chaque côté du siège, on voyait son énorme arrière-train, de gigantesques fesses pressées dans un pantalon jean à la texture sauvage, pantalon qui se prolongeait en bas par des bottines en cuir au bout pointu, définitivement classifiés « Pointininis ». (2018 : 17)

Mais Nafissatou est morte. Alors, qui est vraiment Djane? Mais peu importe qu'elle soit vivante ou devenue un sceptre ; nous sommes au Bénin, pays du vodun (une dynamique spirituelle protéiforme largement inspirée de la religion des Orishas du Nigéria) où la réalité et l'imaginaire se mêlent en permanence. Il n’est donc pas surprenant que ceux qui doivent faire face à ce retour aussi mystérieux qu’inattendu sollicitent aide et protection auprès d’un féticheur adepte du fâ, le savoir ésotérique des Yoroubas, et se voient doter d’un Tchakatou, un fusil de chasse doté d’un deuxième canon invisible permettant d’atteindre des gens à des milliers de kilomètres ! Une arme qui n’est pas sans danger car elle peut se retourner contre celui qui l’utilise.

La suite est dans la logique du roman de vengeance, le tout étant de savoir qui va y passer, de quelle manière et dans quel ordre. Prévisible dans sa conclusion, Western Tchoukouou est néanmoins un roman enlevé et brillant, souvent drôle, féroce dans sa dénonciation du machisme et des violences infligées aux femmes, de la corruption au niveau de la police et des autorités. Outre les trois personnages principaux, stéréotypes de « méchants » du western – un shérif pervers, un cow-boy primaire et le tenancier louche d’un débit de boisson-cabaret qui n’attire que des « artistes en herbe ou en déclin » – il propose les portraits enlevés de personnages secondaires parmi lesquels on retiendra un poète se lamentant bruyamment sur la disparition de sa bien-aimée, un gendarme obtus et tenace et des gardiens de la foi mettant fin de façon spectaculaire à la prestation d’une chanteuse sulfureuse « aux courbes voluptueuses » répondant au doux nom de Pélagie Lalumeuz.

Florent Couao-Zotti, Western Tchoukoutou © Paris, Gallimard,  « Continents noirs », 2018

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Tag(s) : #Bénin, #Afrique de l'Ouest, #Romans en français, #Croyances et rituels
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