On ne présente plus les grands auteurs du Nigéria, que ce soit Chinua Achebe ou Wole Soyinka, lauréat du Prix Nobel en 1986. La littérature policière n’est pas en reste. Après Kole Omotoso dont Fella’s choice, paru en 1974 (non traduit en français) est considéré comme le premier roman policier africain, Leye Adenle, Okinkan Braithwaite et Femi Kayode illustrent le genre avec des romans qui, au-delà des intrigues, décrivent la réalité politique et sociale du pays le plus peuplé d’Afrique.
Nouveau venu, Ikenna Okeh propose avec Rebelles venus de l’est une intrigue simple mais solide. Chargé par le chef Ofodile, un riche homme d’affaires de Port-Arthur, de retrouver Aniete, le fils qu’il a eu hors mariage, Luciano, un jeune écrivain aussi idéaliste que fauché, se rend à Owerri où le jeune homme serait étudiant. Commence alors une folle aventure au cours de laquelle le détective improvisé doit faire face à des personnages peu recommandables. Enlevé, menacé de mort, il est prêt à jeter l’éponge quand le hasard le met en présence d’Aniete, laissé pour mort après avoir été agressé dans une église…
Le roman peut alors véritablement commencer, l’auteur revenant sur les circonstances qui ont conduit à cet événement tragique. On y apprend que tous les jeunes gans fréquentant l’université ne sont pas des étudiants modèles, et que, poussés par la pauvreté eou bien embrigadés dans des « fraternités » plus proche du gangstérisme que de la solidarité, certains sont amenés à commettre les pires exactions : harcèlement, menaces envers d’es étudiants et des professeurs, vols, trafics de drogue, racket1…
Il aurait aimé avoir la vie d’un étudiant ordinaire ; réviser pour ses prochains partiels, sortir en boite de nuit, séduire les filles les plus belles du campus… Les fraternités avaient exercé un fort attrait sur lui, lorsqu’il n’était encore qu’un enfant. A la maison les jeunes garçons vénéraient les universitaires qui appartenaient aux Black Axes, aux Vikings et aux Buccaneers.
En première année, il avait finalisé ses rêves et c’est chez les Blue Hood qu’il avait finalement planté sa tente. (2024 :264)
Rebelles venus de l’est un honnête roman policier, au début très classique puis progressivement assez proche du thriller, qui se lit avec plaisir. L’intrigue est bien menée, alternant le périple mouvementé d’Aniete d’Owerri à Port-Arthur et le rappel des faits qui ont conduit à cette situation. Le jeune homme y apprendra que le manque d’argent n’implique pas nécessairement de faire n’importe quoi et que quitte à se lancer dans la délinquance, mieux vaut réfléchir à qui on s’en prend… On peut toutefois regretter que la conclusion soit un peu trop moralisatrice.
Sans être tout à fait un roman de la dénonciation, comme il est fréquent dans la littérature policière africaine, Rebelles venus de l’est aborde des sujets graves comme le poids de la tradition (le mariage et le coût que représente la dot), l’exploitation et le travail précaire, la grande et la petite délinquance, l’insécurité chronique que connait le Nigéria, les études universitaires plombées par les pots-de-vin exigés par les enseignants…
Enfin, Rebelles venus de l’est raconte aussi « la lutte d’un écrivain pour faire publier son livre » comme l'explique Okeh dans les remerciements en fin d’ouvrage. Car la seule chose qui pousse Luciano à accepter l’offre généreuse du chef Ofodile pour qu’il retrouve son fils, ce qui l’entraine dans des situations où sa vie même est en péril, c’est l’argent. Sans argent, il ne voit aucun moyen de publier Igwemma, un roman dans lequel la magie décide du destin d’une belle jeune fille entre le monde terrestre et celui des esprits, gouverné par Mammy water (Mami wata), la divinité des eaux. Empreints de poésie et de merveilleux, les larges extraits d’Igwemma intégrés dans le livre, roman dans le roman, contrastent fortement avec la dure réalité de l’intrigue criminelle et de son environnement. Comme l'explique Luciano :
C’est une œuvre de fiction, du réalisme magique pour être précis. Je ne connais qu’un seul écrivain nigérian qui ait fait quelque chose de ce genre, avec son livre The Famished Road ; Ben Okri. Soyinka, également, qui a rédigé quelques décennies plus tôt le poème Abiku. (2024 : 237)
1. Sur les fraternités étudiantes, on lira avec intérêt Les colliers de feu de Feni Kayode, paru en 2021.
Ikenna Okeh, Rebelles venus de l’est, trad. fr de Rogues of the East (2023) Maurice Blervaque © Mera Editions, 2024.
Je remercie les éditions Mera de m’avoir permis de découvrir ce roman.