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La « première enquête de Philip Taiwo », un psycho-criminologue qui vient de rentrer au Nigéria après un long séjour d’études aux Etats-Unis le conduit dans le sud du pays. Mandaté par le père d’une des victimes, il doit faire la lumière sur les faits qui ont conduit au lynchage de trois étudiants de l’université de Port Harcourt : accusés de vol, les jeunes gens ont été poursuivis par une foule déchaînée, molestés et brûlés vifs.

Si l’on se fie à la quatrième de couverture, Les colliers de feu se situe dans « un Nigeria entre tradition et modernité forcenée, traversé de multiples ruptures ». Il y est en effet question des rivalités entre communautés, principalement sur des bases religieuses, et de la force de la coutume qui fait qu'une ville comme Okriki, où le drame a eu lieu, puisse être contrôlée par une assemblée de notables et d’anciens faisant peu de cas du gouvernement légal du pays. Une situation qui ne favorise pas la tâche de l’enquêteur, que l’on trouve par exemple dans les romans de Moussa Konate (Meurtre à Tombouctou, L’affaire des coupeurs de têtes) ou de Vamba Sherif (Borderland).

Mais l’originalité du roman vient du fait qu’il y est fait référence aux fraternités étudiantes nigérianes. Inspirées des fraternités nord-américaines, elles se sont surtout développées dans les régions du sud du pays et, comme l’explique le père de Philip Taiwo à son fils, elles regroupaient à l’origine, dans le contexte d’indépendance de l’époque, des étudiants prometteurs, des « gentilhommes distingués » : « Nous étions des frères. Politiquement conscients, académiquement brillants et, par-dessus tout, des gentlemen. » (2022 : 29).

Au fil du temps, ces assemblées animées de nobles et louables intentions et inspirées par de grands idéaux ont évolué vers des sectes secrètes qui ont réorienté leurs activités vers des pratiques – harcèlement, menaces envers d’autre étudiants et des professeurs, vols, trafics de drogue, racket… – proches du crime organisé et entrainant des rivalités pour le contrôle des territoires qui ont fait des centaines de victimes. Cette évolution n’a pas été sans conséquences sur la façon dont sont perçus les étudiants par les communautés vivant dans les villes universitaires. Femi Kayode s’inspire ici directement du lynchage en 2012 des « quatre d’Aluu », une ville proche de Port Harcourt qui sert de modèle à Okriki, par une foule avide de faire justice elle-même (Jungle justice). Mais si le thème est présent dans le roman, il n’est que peu développé. Kayode a en effet fait le choix de privilégier les ressources du thriller et ne fait qu’effleurer certains aspects sociaux et politiques de la société nigériane comme les rivalités religieuses ou la répression des homosexuels. Il se démarque en cela de nombreux auteurs africains (Mongo Beti, Leye Adenle, Janis Otsiemi…) qui ont fait du roman policier un outil de critique et de dénonciation.

Bien construit autour de courts chapitres et captant jusqu’à la fin l’intérêt du lecteur, Les colliers de feu se concentre donc sur l’intrigue policière et sur les interactions entre Taiwo et les autres protagonistes : sa complicité avec son père, très attaché aux valeurs qui ont fait le Nigeria moderne et quelque peu désabusé ; ses relations ambiguës avec une jeune avocate appelée à défendre des membres de la communauté suspectés d’avoir participé au lynchage ; ses contacts tendus avec le chef de la police locale, fils du responsable de la communauté d’Okriki. Sans oublier ses conversations avec Chika, le jeune homme chargé de l’épauler, qui, en quelque sorte, remettent à jour sa connaissance du pays. Car, si Taiwo n’est pas vraiment « un étranger dans son propre pays » comme l’indique l’éditeur, il a parfois du mal depuis son retour des États-Unis à se faire aux habitudes et aux pratiques locales. On peut ici regretter que le roman ne développe pas ce thème, très présent dans la littérature policière écrite par des auteurs africains.

Si l’on s’en tient à l’histoire policière proprement dite, en alternant les retournements de situation et en multipliant les fausses pistes, Les colliers de feu se révèle être finalement un roman plus complexe qu’il n’y paraît, même si le lecteur perspicace aura vite compris en lisant les chapitres en italiques intercalés dans l’histoire principale que la solution de l’intrigue  « Ils savent déjà qui a tué les trois étudiants. Maintenant ils veulent savoir pourquoi. » – n’était pas là où on pouvait le penser. Le procédé relève de l’atelier d’écriture mais cela dit, le roman reste intéressant et peut constituer une bonne entrée dans la littérature policière africaine contemporaine.  

Femi Kayode, Les colliers de feu, trad. fr. de Lightseekers (2021) par Laurent Philibert-Caillat, Paris, Les presses de la cité, coll. Sang d’encre, 2022.   

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Tag(s) : #Afrique de l'Ouest, #Nigeria, #Romans en anglais
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