Sur fond de sécheresse, de misère et de villages déplacés, c'est une histoire sanglante que raconte le Malien Modibo Sounkalo Keita dans L'archer bassari, publié en 1984 et considéré comme le premier roman policier africain de langue française.
Dans une ville du Sahel, plusieurs notables, dont les affaires florissantes semblent avoir des origines douteuses, sont victimes d'un mystérieux archer. Mbaye, le commissaire local, pourtant bien entouré, est d’abord désarmé devant une affaire opaque impliquant des commerçants locaux et des politiques, mais aussi des proxénètes et leurs protégées. Il peut toutefois compter sur l'aide de Simon Dia, un ami journaliste qui enquête sur le terrain sur les dessous de l'aide financière et alimentaire gouvernementale dont devraient bénéficier les victimes d'une sécheresse endémique.
Un reportage sur les beuveries et les festins comme celui-ci, ces gaspillages incroyables, cet étalage insolent et grossier de richesses très souvent acquises aux dépens des sinistrés, feraient ressortir, bien que de façon caricaturale, le contraste saisissant et scandaleux avec des affamés mourant de faim à 50 km de la capitale parce que les secours qui leur étaient destinés avaient été détournés à d'autres fins. (1984 : 95)
Qui se cache derrière le mystérieux tueur en série ? Que penser du détournement de l’aide alimentaire par ceux dont l'intérêt personnel prime sur la solidarité ? Les forces des esprits peuvent-elles l'emporter sur la rationalité ? En répondant à ces questions, dans un roman souvent proche de l'essai, Keita lance un cri d’alarme sur la catastrophe écologique et humaine qui menaçait le Sahel dans les années 1980. L'archer Bassari en mêlant habilement l'intrigue policière aux considérations politiques et aux remarques ethnologiques, est une réflexion sur l'opposition entre pouvoir central et le droit coutumier, la modernité et la tradition.
Nous ne refusons pas la technique, nous ne refusons pas la modernisation. Nous voyons ce qu’elle peut nous apporter, déclara Tendi. Mais il faut qu’elle intervienne par étapes, à un rythme que nous aurons choisi et qui nous permettra de nous adapter progressivement, sans déchirure trop violente, qui compromettrait notre équilibre déjà mis à mal. La modernisation mal assimilée conduit à des erreurs. En ville, sous prétexte de modernisation, ils se sont fourvoyés. Qu’on nous comprenne bien. Nous ne sommes pas contre l’évolution mais qu’on évite de nous l’imposer. (1984 : 163)
L'auteur a obtenu en 1985 pour ce roman le Grand prix littéraire de l'Afrique noire et le Grand prix du Syndicat des journalistes et écrivains français. On ne peut que regretter que Keita ait ensuite privilégié sa carrière de journaliste au détriment de l'écriture romanesque.
Modibo Sounkalo Keita, L'archer Bassari, © Paris, Karthala, 1984.
- Pour une analyse complète du roman : « Anomie comme conséquence de la sécheresse dans L’archer Bassari de Modibo Sounkalo Keita » par Komi Seexonam Amawu, Département de Lettres modernes de l’université de Lomé, Togo.