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En 75 chapitres courts et nerveux, chacun précédé d’un mot-clé le résumant, écrits à la première personne et prenant la forme d’un journal intime, Korede, infirmière en chef dans un hôpital de Lagos, parle de son métier, de sa famille (les morts et les vivants) et surtout de sa sœur cadette Ayoola, jeune fille séduisante et frivole, un peu écervelée, accro aux réseaux sociaux et encline à tuer ses amants… Ayoola en est au troisième au début du roman et Korede doit se charger une fois de plus de faire disparaître les traces de « l’accident », selon une méthode de nettoyage rigoureuse, et de se débarrasser du cadavre en le jetant du haut d’un pont. Certes la serial killeuse Ayoola n’a pas toujours le couteau à la main. Elle a même un petit côté fleur bleue qui la rend presque attachante. Jusqu’au jour où elle jette son dévolu sur le Dr Tade Otumu, un séduisant médecin que Korede, qui le croise tous les jours à l’hôpital, espérait elle-même séduire.

Korede ne parle pas beaucoup, sauf à un patient dans le coma auquel elle livre en toute confiance ses secrets, et personne n’écoute de toute façon. Elle dresse donc par écrit un tableau sombre de ses relations familiales : sa mère ne pense qu’à marier ses filles ; son père, mort depuis dix ans, était un homme sans aucun sens moral ; sa sœur est ce que l’on sait, et le devoir s’ainesse – « Les sœurs ainées s’occupent de leurs petites sœurs » – l’oblige à veiller sur elle. Ce qui n’est pas facile car Korede et Ayoola sont très différentes, tant physiquement, l’ainée n’a pas la beauté et le charme de la cadette, que moralement. Korede est un modèle de sérieux et d’organisation, qualités qui font d’elle une excellente infirmière mais aussi une « nettoyeuse » efficace quand il s’agit de réparer les bêtises de sa sœur. Pourtant, tout n’est pas si tranché dans leurs personnalités : Ayoola est-elle une écervelée victime des réseaux sociaux ou vraiment une tueuse de sang-froid ? Korede est-elle une sœur parfaite, prête à oublier son propre bonheur en se sacrifiant pour sa cadette, ou, jusqu’à un certain point, au nom des liens du sang et l’esprit de famille, n’est-elle pas complice ?

Le roman est aussi une chronique de la vie à Lagos, à l’hôpital où travaille Korede, et en ville, quand il s’agit de composer avec une police locale plus occupée à racketter les automobilistes qu’à gérer la circulation. Un quotidien dominé par la débrouillardise et la solidarité et où les femmes jouent un rôle essentiel. Au point que toutes les victimes, tuées ou faussement accusées, sont des hommes, et toutes les responsables, des femmes.

Certes, Ma sœur, serial killeuse est à placer parmi les romans noirs. Mais, en décrivant des situations à la limité du crédible et en usant d’un humour dévastateur, Okinkan Braithwaite rend la violence acceptable et parfois drôle. On en jugera par la désinvolture avec laquelle Ayoola se débarrasse de ses amants et le sérieux, dont fait preuve Korede pour lui sauver la mise. 

Écrit dans une langue mêlant l’anglais le plus classique au dialecte nigérian et à des expressions en yoruba, Ma sœur, serial killeuse s’apparente au style « rat-a-tat » (comme le bruit d’une mitrailleuse) caractérisé par des phrases brèves et une narration hachée. Plus roman psychologique centré sur les membres d’une famille de la classe moyenne nigériane confrontée aux actes d’une jeune fille incontrôlée et incontrôlable que roman policer (l’enquête n’occupe qu’une place secondaire et ne fait pas honneur ni aux qualités d’investigations de la police nigériane), le livre est d’une lecture agréable. Sans surprise, les lecteurs, anglophones et autres, lui ont réservé un succès mérité.

Ma sœur, serial killeuse, trad. fr. de My sister, the serial killer (2018), Paris, Delcourt, 2019.

Oyinkan Braithwaite (1988-) – Nigéria

Oyinkan Braithwaite est née à Lagos et a fait ses études secondaires et universitaires (diplôme de droit et formation en création littéraire) en Angleterre avant de retourner au Nigeria en 2012. Elle a été rédactrice adjointe chez Kachifo, une maison d'édition de Lagos, et travaille aujourd’hui en free-lance comme écrivain et journaliste. Auteur de nouvelles, elle a été finaliste en 2016 du Commonwealth Short Story Price. Ma sœur, serial killeuse est son premier roman.

Tag(s) : #Nigeria, #Romans en anglais, #Afrique de l'Ouest
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