La vie de Zam, journaliste sur le retour dans un journal d’opposition, est plutôt routinière, entre cuites quotidiennes, ruptures et réconciliations avec sa petite amie Elisabeth, dite Bébète, et la rédaction d’articles dénonçant les « spoliations foncières des communautés villageoises au bénéfice des grands du régimes ou de firmes étrangères d’exploitation forestière ». Mais, quand, après que sa collection de disques de jazz ait été volée, on trouve le cadavre d'un inconnu dans son appartement et que, un peu plus tard, l’immeuble dans lequel il avait trouvé refuge est ravagé par une explosion, sa vie se complique. Surtout que la police judiciaire « se borne à faire de la figuration » et se garde bien d’enquêter de peur de tomber sur un « grand ». Mais Zam est un battant, le jazz et les combats pour les droits civiques le guident : « si on ne fait pas quelque chose, rien ne se passe ». Jusqu’au jour où Bébète disparaît.
Trop de soleil tue l’amour, premier volet de ce qui devait être une trilogie, compte parmi les romans policiers africains les plus connus. A travers les mésaventures de Zam, de son meilleur ami Eddie, avocat marron puis détective privé fort en gueule et plein de ressources, « émigré sans papiers rapatrié de force par charter », Mongo Beti peint le désarroi moral des habitants d’un pays gangrené par la dictature et la corruption. Tout y passe : les politiciens véreux avides de se maintenir au pouvoir, la fraude électorale, la misère qui pousse les femmes à la prostitution, les trafics divers, l’insécurité et la violence. Tout cela sous l’œil complaisant de l’ancienne puissance coloniale, peu regardante sur les agissements de ceux qui transforment l’Afrique en dépotoir de déchets toxiques et nucléaires. Description sans concession d'un pays dont Mongo Beti dut s’exiler durant plus de trente ans, Trop de soleil tue l'amour s’inscrit dans la tradition du roman policier africain : à partir d’une énigme, dénoncer les systèmes responsables de la misère physique de celles et ceux qu’ils gouvernent, dénoncer les coupables. Mais, dans la lignée de Peuples Noirs, Peuples africains (PPNA), la revue qu’il créât et fit paraître de 1978 à 1991, l’écrivain va plus loin en mettant à nu les Afriques post-coloniales et en pointant la « monotonie existentielle » des républiques africaines francophones. Même s’il ne se fait guère d’illusions sur l’impact que peut avoir son message dans un pays sur lequel règnent sans partage un parti unique et un président élu à vie, et où le clientélisme et le népotisme sont la norme.
— Mais alors, qu'est-ce qu'on t'a dit ?
— Rien, seulement : tu vas faire des enquêtes et ça va te changer.
— Ça va te changer ? Pourquoi ça va te changer ?
— Parce que, nous, dans notre police, on ne fait jamais d'enquête ; c'est même interdit.
— Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Non mais c'est dingue. C'est interdit aux policiers d'ici de faire une enquête ? C'est vrai, ce mensonge ?
— C'est vrai monsieur.
— Est-ce possible ?
— Si, si, c'est vrai, monsieur. Chaque fois qu'on fait une enquête, on tombe immanquablement sur un grand.
— Un homme puissant, c'est ça que tu veux dire ?
— Oui, monsieur. C'est pour ça que c'est interdit de faire des enquêtes.
Tout en restant ancré dans le politique et le social, Mongo Beti ne perd donc jamais de vue qu’il est dans le genre policier et l’intrigue se tient et progresse autour du trio que forment Zam, Bébète et Eddie. D’excellents seconds rôles contribuent par ailleurs à faire de Trop de soleil tue l’amour une suite d’aventures picaresques : PTC (Poids total en charge), le directeur du journal de Zam ; Norbert, « flic amateur d’extras bien rémunérés » et détective occasionnel ; Georges, in toubab sexagénaire sentimental, barbouze enquêtant sur divers trafics ; l’homme « à la saharienne de bonne coupe, un « grand » garant de la continuité éternelle du pouvoir en place ; un fils naturel de Zam tombé du ciel. Parmi tous ces hommes, Bébète, personnification de la femme africaine à qui l’éducation a fait défaut et que la pauvreté a réduite au rang de victime, émerge de façon positive. Femme convoitée d’une grande beauté, « caricature hyperbolique de la féminité », sa disparition va la placer au cœur de l’intrigue et sa recherche par Georges et Eddie assure le lien avec Branle-bas en noir et blanc.
Bel exemple de roman à la fois littéraire et populaire – le roman noir cède parfois le pas au roman sentimental –, Trop de soleil tue l’amour alterne le français le plus académique avec le vocabulaire relâché d’Eddie, souvent argotique et volontiers vulgaire – « cette vilaine langue des trottoirs de Paris » – cassant ainsi en permanence le rythme en y apportant des « chorus à la fois fougueux et attendrissants », comme ceux de Lester Young, idole d’Eddie, dans une chanson de Billie Holiday. Une lecture passionnante qui incitera le lecteur à e plonger dans Branle-bas en noir et blanc pour connaître la suite de l’histoire.
Mongo Betti, Trop de soleil tue l'amour © Paris, Julliard, 1999.