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Publié chez L’Harmattan, dans la collection « Polars noirs » (qui ne comporte que deux autres titres – Cameroun/Gabon : le D.A.S.S. monte à l'attaque d’Evina Abossolo et l’excellent No woman, no cry d’Asse Gueye), Traite au Zaïre  d’Antonio Junior Nzau utilise une recette fait les beaux jours du roman policier africain : la dénonciation de pratiques criminelles à travers une histoire à rebondissements. Ici, une enquête sur un réseau de prostitution aux ramifications européennes sur fond de corruption à très haut niveau dans le Zaïre de Mobutu.

Le Dr Mukoto est témoin à Bruxelles de l'assassinat d'une jeune fille de treize ans dont il apprend qu’elle faisait partie d'un groupe de prostituées « importées du Zaïre » avec la complicité de dignitaires du pays, et qu’elle essayait vraisemblablement d’échapper à ses employeurs. Scandalisé, il se rend à Kinshasa pour mener l’enquête. Il s'y heurte, au péril de sa vie, aux responsables du réseau, mais aussi à des personnages peu recommandables : des politiciens véreux (les « haut perchés »), des diplomates laxistes et des barbouzes des services secrets. Il y bénéficie de l’aide d’un de ses camarades d’école et de faculté, le Dr. Bokolongo, dont il ne partage pourtant pas la vision fataliste de la situation locale.

Traite au Zaïre eût son heure de gloire et est considéré comme l’un des premiers romans policiers africains francophones avec L’archer Bassari du Malien Modibi Sounkalo Keita. Il fallait alors du courage, même pour un Zaïrois vivant à l'étranger, pour dénoncer sans litotes ni non-dits les méthodes de Mobutu et leur inefficacité quant aux attentes de la population. Nzau n’est en effet pas avare de détails sur les inégalités criantes et la misère régnant à Kinshasa et dans le pays, qui entraînent violence, délinquance chronique et prostitution généralisée, y compris des mineures.

Le citoyen Likofi promenait l’embonpoint composant ses 120 kilos. Au Zaïre comme partout en Afrique Noire, la richesse d’un individu se traduisait par son obésité. Avoir de l’embonpoint était synonyme de santé. Si la moyenne de vie tournait aux alentours de 40 ans, il n’y avait pas à s’étonner. Les riches Africains passaient très jeunes dans l’autre monde, terrassés par les maladies provoquées par leur trilogie sacrée : bouffe-alcool-femmes. 

(…)

Tous ces kilos de viande, de volaille et de céréales, jetés dans les poubelles, alors que des enfants affamés attendaient dehors… Parmi eux, beaucoup n’avaient jamais mangé de viande depuis leur naissance, ni bu une boisson sucrée. Pour ces pauvres gosses innocents, qui croupissaient dans la misère, ce genre de fête était toujours une torture ».

Le constat est terrible, d’autant plus que la corruption règne à tous les niveaux, au plus haut sommet de l’Etat comme dans la vie quotidienne :

Il contemplait la circulation, la foule ; certains voleurs se battaient avec leurs victimes devant l’indifférence des gendarmes. Ces derniers préféraient s’occuper des gens auxquels ils pouvaient soutirer un peu d’argent. Ils rançonnaient même les infirmes. 

Pamphlet autant que roman, Traite au Zaïre peut décevoir le lecteur d’aujourd’hui. Parfois aussi ennuyeux à lire qu’un OSS 117 et tout aussi complaisant dans la description de scènes de violence, de sexe, ou de sadisme qu’un SAS, il doit toutefois être pris pour ce qu’il était lors de sa parution en 1984 : le prétexte d’une intrigue policière pour dénoncer les anti-valeurs que développaient le régime zaïrois, ce que Désiré Kazadi Wa Kabwe  appelle « la gabegie et l’obscénité des régimes post-coloniaux » (1).

Mais, si Nzau a flatté les attentes du lectorat d’alors…

Ce qui compte pour le lecteur, c'est l'histoire et ses multiples péripéties, la tension que crée l'ambiance, le suspense, les rebondissements aussi inattendus qu'invraisemblables, le sexe à gogo, la violence toujours, les scènes parfois insoutenables, le tout livré dans un langage cru, souvent d'une vulgarité écœurante, conçu pour touiller en profondeur la fange de nos plus bas instincts. Guy Ossito Midiohouan, Un polar typiquement africain : « Traite au Zaïre » de A.J. Nzau in Peuples noirs, Peuples africains( 2), N° 44 (1985)

… il a parfaitement assumé ce choix, sachant que le polar, genre alors populaire en Afrique, trouverait plus facilement un public qu’un texte directement politique. En ce sens, Traite au Zaïre, malgré ses défauts, avait mots de sa parution sa raison d'être.

(1) Désiré Kazadi Wa Kabwe, Réparation, récupération et dette coloniale dans les romans congolais récents in Cahiers d’études africaines, 173-174, 2004.

(2) Revue des radicaux noirs de langue française, publiée par Mongo Beti et son épouse Odile Tobner de 1978 à 1991.

Antonio J. Nzau, Traite au Zaïre, © Paris, L'Harmattan, coll. « Polars noirs », 1984.

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Tag(s) : #Congo (RDC), #Romans en français, #Afrique centrale, #Trafics et exploitation
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