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En 1988, dans une petite ville d’Algérie aux confins du désert, Zakia, la chanteuse qui se produit dans le cabaret de l’hôtel Sahara, est retrouvée assassinée dans un terrain vague. Très vite, la police, représentée par l’inspecteur Hamid, soupçonne Bachir, le petit ami de Zakia, et le jette en prison. Nora, une jeune avocate, se propose alors pour aider le jeune homme qui clame son innocence.

Plus de 35 ans après l’Indépendance, la situation dans le Sud n’est guère brillante, les changements promis à la fin de la colonisation ayant tardé à venir : la pénurie de vivres et de produits de base est criante, tout comme celle de médicaments, l’alimentation en eau et en électricité est aléatoire et les cultures subissent les ravages de sauterelles. Et ce ne sont pas des mesures symboliques comme l’appropriation par l’Etat de biens immobiliers ou l’arabisation de l’enseignement qui peuvent calmer la colère des habitants qui sont nombreux à être réduits à la misère.

C’était la troisième mendiante de la journée. Il n’y en avait jamais eu autant. Quand tu te levais le matin, tu te retrouvais devant une légion de nouveaux indigents installés sur les places ou agglutinés devant les mosquées. Parfois c’était des familles entières qui tendaient la main, d’une voix criarde. Cette ville devenait la capitale de la mendicité et les autorités les faisaient disparaitre de temps en temps, quand un responsable venu d’Alger faisait une visite officielle. (2025 : 225-6). 

Plusieurs personnages, plus ou moins liés à Zakia, contribuent à faire avancer l’enquête sur sa mort : Hamid, le policier volage, Hadj Mimoun, le propriétaire de l’hôtel enrichi par les trafics, le portier et le réceptionniste du Sahara, Nora l’avocate et son amie Hassina… Personnage à part, épris de culture, Ibrahim, qui tient une boutique louant des cassettes vidéo, assure le lien entre ces protagonistes par ses commentaires au début de chaque chapitre. Quant à Bachir, le présumé coupable, seul le journal qu’il parvient à écrire en prison lui permet de tenir.

Dans une ville où tous se connaissent et où tout se sait, où les proches et les amis passent ’de l’alliance à la trahison, les contraintes familiales et religieuses peuvent conduire aux plus graves extrémités.

La phrase de Hassina n’arrêtait pas de me trotter dans la tête : « La plupart des meurtres dont j’ai entendu parler ou sur lesquels j’ai pu travailler étaient des règlements de compte familiaux ou claniques. » (2025 : 184)

 Pour tous, Zakia, femme libre et fille de la nuit, est une menace : convoitée en secret par certains, séduite par d’autres, elle incarne la figure de la pécheresse dans un monde où le mariage des filles tient une place prépondérante : « Le capital d’une femme est dans le mariage, pas dans le diplôme » dit sa mère à Nora (2025 : 249). Mais si son assassinat est au cœur du roman, l’enquête policière, qui n’aboutira pas vraiment du fait de la mutation du policier qui en a la charge, n’en constitue pas l’essentiel. La fin du Sahara est avant tout un roman sur le destin de personnages, hommes et femmes, qui composent l’environnement du village et surtout de l’hôtel. Et personne ne sort indemne ce cette histoire : des vies brisées par des arrestations arbitraires, un coupable en fuite, la mutation opportune de l’inspecteur Hamid, des familles déchirées… Zakia avait su faire rêver les hommes mais sa disparition tragique les entraîne vers la déchéance.   

Le premier roman de Saïd Khatibi traduit en français (le livre original en arabe a été publié en 2022 au Liban) est une bonne surprise. Dans un Sud où l’hôtel, le poste de police et la boutique d’Ibrahim constituent l’essentiel du décor, le récit tire sa force de l’originalité de sa polyphonie narrative : suivant un ordre chronologique, chaque protagoniste apporte à la première personne son point de vue et contribue ainsi au développement de l’enquête, des témoignages auquel s’ajoute le journal de captivité de Bachir. A l’évidence Khatibi accorde de l’importance à la littérature et à la force de l’écriture, comme en témoignent les références récurrentes que fait Ibrahim au roman d’Edith Maude Hull, Le Cheik, les citations du poète Soufi Abderahman El Medjdoub qui guident l’inspecteur Hamid.

Merci à Gallimard (Série noire) de m’avoir fait connaître ce roman avant sa parution en librairie.

Saïd Khatibi, La fin du Sahara, trad. fr. de Nihayat al Sahira (2022), Paris, Gallimard, coll. Série noire, 2025.

Tag(s) : #Afrique du Nord (Maghreb), #Algérie, #La ville et ses pièges
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