L’homme qui venait du passé met un terme aux enquêtes de l’inspecteur en chef Ali, de la police royale marocaine. Flegmatique et volontiers cynique, alter ego de Driss Chraïbi, Ali mène des investigations difficiles et agitées dans son pays et à l’étranger. Peu regardant sur les méthodes, s’appuyant plus sur ses indics que sur ses adjoints, il cultive des relations ambiguës avec des personnages influents et peu recommandables. Esprit libre, Ali assène des remarques aussi pertinentes qu’ironiques sur les travers de son pays (abus de pouvoir, corruption, blanchiment d’argent, extrémisme) et sur les profiteurs des sphères décisionnelles, sans ménager l’Occident, obsédé par la puissance financière et la consommation.
Le roman commence avec la découverte du corps d’un homme au fond du puits d’un ryad de Marrakech. Alors que les services secrets de la planète convergent vers le Maroc, l’affaire est jugée assez explosive en haut lieu pour qu’il soit ordonné à Ali et à ses adjoints de subtiliser le cadavre et de trafiquer les dossiers du médecin légiste. Une fois de plus, l’inspecteur va devoir enquêter au-delà de son cher pays, aux Etats-Unis, en France (retrouvailles avec un copain d’enfance travaillant pour la DGSE), en Suisse (savoureuse rencontre avec le fondé de pouvoir de l’UBS) et jusqu’à Peshawar. Car il n’est pas impossible que l’inconnu de Marrakech ait été à la tête d’un réseau terroriste islamiste de grande envergure et soit activement recherché, mort ou vif. De quoi donner de l’énergie à revendre à Ali : il fait feu de tout bois, vole des documents, ment pour mieux obtenir la vérité, trahit un peu tout le monde, tue à l’occasion, tout en agrémentant cela de commentaires caustiques sur le Maroc, les pays musulmans et le monde occidental. Le récit se termine par un long soliloque, dans lequel cet homme désabusé qui ne veut pas envisager ce qui pourrait lui arriver, s’exprime sur sa société, la géopolitique et le recours à l’action violente. Sans légitimer celle-là, Ali/Chraïbi (cf. Préface) ne se montre pas surpris que certains puissent y avoir recours, alors que le monde dérive vers le chaos et que les dirigeants du Tiers-Monde, tout à leur cupidité et à leur soif du pouvoir, se révèlent incapables de gouverner démocratiquement. Quant aux grandes puissances, comment leur faire confiance alors qu’elles se refusent à voir la pauvreté dont elles sont en partie responsables dans de nombreux pays ?
Utilisant le procédé par lequel l’auteur relate ce que lui aurait confié un témoin, en l’occurrence l’inspecteur, Driss Chraïbi mêle des éléments de reportage aux commentaires d’Ali. Tout en restant dans le rôle de l’auteur omniscient interpelant le lecteur : « Remontons le cours du temps et revenons, si vous le voulez bien, à notre sympathique inspecteur… » La fin du roman, surprenante et mystérieuse, reprend la mise en abyme utilisée dans d’un précédent roman ; dans L’inspecteur Ali, l’auteur met en scène Brahim, un personnage lui-même écrivain qui pourrait être le double parfait de Driss Chraïbi, qui met à son tour en scène Ali, le « héros » d’un de ses romans. Double-jeu et jeu de dupes…
Driss Chraibi, L’homme qui venait du passé © Paris, Denoël, 2004.