On sort sonné de La part du mort, le premier des romans rassemblés chronologiquement dans Le quatuor algérien mais dernier dans l’ordre d’écriture. Tout est noir dans ce livre : la réalité de l’Algérie de la fin des années quatre-vingt avec ses tout-puissants régnant sans partage sur l’économie et la politique (thème que l’on retrouve dans Qu’attendent les singes), une société s’enfonçant de plus en plus dans la précarité pour ne pas dire la misère, les révélations sur certains moments bien peu glorieux de la guerre d’indépendance et leurs conséquences. Tout cela débouchera à la fin de l’année 1988 sur une étrange incitation du président d’alors à la révolte contre les élites, avec pour conséquence des mouvements de protestations meurtriers et des élections « libres » dont les islamistes intégristes sortiront vainqueurs.
La trame policière est mince – nous sommes plus proches de l’intimidation ou du règlement de comptes politique que de l’affaire criminelle – mais suffisante pour que l’adjoint du commissaire Llob, qui fait le joli cœur avec une compagne dont les besoins sont bien supérieurs à ceux d’un simple flic algérois, se retrouve dans une situation très difficile. Les démarches et investigations plus ou moins officielles qu’entreprend Llob pour le tirer d’affaire vont le conduire à découvrir de douloureuses révélations sur le passé de l’Algérie et sur ceux qui mènent la danse depuis l’Indépendance.
Tout ce qui brille n’est pas or, c’est la loi. J’aime mon pays et les gens qui vont avec. Je suis malheureux quand les choses tournent mal, et il m’arrive souvent de prier pour que l’on sorte des mauvaises passes sans trop de casse. Comme vous, je rêve d’une patrie belle et saine ; je suis prêt à me défoncer comme un dingue pour un soupçon d’embellie dans la grisaille de nos jours, mais quelle que soit la ferveur de ma foi, je m’interdis de faire allégeance aux prophètes qui légitiment le meurtre.
Brahim Llob est la voix de Yasmina Khadra, celle de la rage et de la colère d’un flic intègre en lutte contre des puissants du régime plus aptes à s’enrichir qu’à gouverner le pays. Si le mur auquel il se heurte ne tarde pas à se lézarder, peut-il s’en réjouir au vu des lendemains qui ensanglanteront l’Algérie au cours d’une guerre civile qui coûtera 60 000 vies ? La part du mort évoque la situation politique et économique qui mène aux « années de plomb » qui sont au cœur des trois autres romans (Morituri, Double blanc, L’automne des chimères) du quatuor.
Long roman de dénonciation, La part du mort est aussi une déclaration d’amour de Llob à l’Algérie et à Alger. Déclaration d’un ancien combattant de l’Indépendance qui ne reconnait plus son pays ou du moins qui se demande si la lutte qu’il avait menée avec ses compagnons ne pouvait que conduire à ce qu’il voit autour de lui.
Yasmina Khadra, Le quatuor algérien (Morituri, Double blanc, L'Automne des chimères, La Part du mort) © Paris, Julliard, 1997-2004.