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Les amours de Machérie n’est pas vraiment un roman policier. Que l’un des protagonistes soit enlevé pour être rendu à ses proches contre rançon est en effet plutôt maigre pour le classer dans le genre. Il a toutefois paru intéressant d’en parler ici pour plusieurs raisons : le texte est de Marguerite Abouet, qui écrit également les scénarios des enquêtes du commissaire Kouamé, illustrées par Donatien Mary ; il s’agit d’un roman-photo, genre aujourd’hui tombé en désuétude ; le roman est riche d’informations et de réflexions sur la société africaine. A découvrir.

Les amours de Machérie est un roman-photo, un genre littéraire appartenant à la littérature populaire qui utilise des photographies accompagnées de bulles de textes décrivant l’action et les dialogues pour raconter une histoire. Apparu en Italie après la seconde guerre mondiale, il a vite été adopté en France par des magazines destinés à u lectorat familial pour ne pas dire féminin comme « Nous Deux » et « Confidences » dont il fit les beaux jours et favorisa les tirages. Tombé en désuétude dans les années 70 (en partie victime du succès des télénovelas) il a connu quelques retours, dans des versions parodiques dans le mensuel « Hara-Kiri » par exemple et, plus récemment avec l’hilarant Guacamole Vaudou de Fabcaro et Eric Judor. En Afrique, on peut citer Philo, amour & résilience, un roman-photo de 20 pages du Congolais Cid Lhyther qui raconte une romance entre un Bantou et une Pygmée, un sujet sensible qui permet d’appeler l’attention des lecteurs sur les discriminations que subissent les peuples autochtones.

Dans Les amours de Machérie il est question d’amour (sujet prédominant dans le genre) et aussi de mariage. Car on ne plaisante pas avec l’institution en Afrique et donc en Côte d’Ivoire, le pays de Marguerite Abouet. En bref, Machérie, qui vit à Paris et n’est toujours pas mariée à 30 ans, vient en plus d’être brutalement plaquée par son fiancé. Suite à un conseil de famille, ses parents restés au pays lui donnent deux semaines pour régulariser la situation afin d’organiser le mariage costumier. Il y va en effet de l’honneur de toute la famille et du destin des ses deux sœurs cadettes, qui, en vertu du droit d’ainesse, doivent attendre leur tour. Machérie n’a donc le choix que de reconquérir son fiancé ou en trouver un autre. Le compromis prend la forme d’un jeune clochard installé sur un banc en bas de chez elle qu’elle transforme en un prétendant tout à fait convenable avant de l’emmener avec elle à Abidjan.

Les aventures qui suivent sont dans la pure tradition du genre, soit une « romance intense » autour d’amours contrariées, de relations interdites et de passions dévorantes. Elles font aussi une large place aux conflits familiaux (le mariage des filles), aux questions de société autour de la tradition (la cérémonie de la dot) et aux relations hommes-femmes (« Depuis quand une femme dote un homme, surtout dans notre pays ? » - « Depuis que les femmes sont des hommes comme les autres. »). Enfin, Les amours de Machérie n’est pas dénué d’action et de suspense (certes relatif) quand le jeune fiancé est enlevé par des villageois. Mais, autre constance du genre, l’amour triomphe bien sûr de tous les obstacles.

Sans être palpitante, cette incursion de Marguerite Abouet dans le roman-photo est agréable, joliment rendue par les photographies de Kader Diaby. On peut certes trouver l’histoire convenue et développée de façon sommaire, mais Les amours de Machérie, en mêlant habilement le romanesque et la réalité, apporte un éclairage intéressant sur la société ivoirienne. L’humour n’est par ailleurs jamais absent comme en témoignent la cérémonie du mariage coutumier avec les détails de la dot due par la famille du futur mari aux parents de sa promise, la volonté tenace des sœurs de Machérie de « décoaguler » son fiancé ou les détails du tournoi du plus grand buveur de koutoukou, une boisson locale titrant 90 degrés dont la distillation a longtemps été interdite. Sans oublier quelques clichés dont Marguerite Abouet s’est amusée à parsemer le récit : « Heureusement que la tristesse ne tue pas subitement, même si elle mine lentement » ; « Machérie, Machérie, quand tu souris, et bien les anges, à mon avis, ne sont pas tous au Nirvana » ; « J’ai envie de toi comme l’arbre a besoin d’averse, comme l’obscurité a besoin du jour pour savoir qu’il fait magnifique la nuit. ».

Ouvrage lu dans le cadre de Masse critique. Merci à Babelio at au Seuil.

 

Tag(s) : #Côte d'Ivoire, #Romans en français, #Afrique de l'Ouest, #Croyances et rituels
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