La guerre des Anges, fresque politique, sociale et humaine entre Rio de Janeiro et Luanda, Lisbonne et l’Europe centrale, est aussi (un peu) un roman policer. Alors que les favelas de Rio, particulièrement le morro da barriga, s’embrasent et que les délaissés et les déclassés qui les peuplent ont pris les armes sous les ordres de Jaraca, un trafiquant de drogue charismatique, des personnages divers et hauts en couleur se croisent : des vétérans de la révolution angolaise, un journaliste influant, une artiste de la bourgeoisie passée à la révolution, Jacaré, un rappeur rendu fou par la drogue... Avec Francisco Palmares comme personnage central, un colonel passé de la guérilla au trafic d’armes, combattant de toutes les batailles, en particulier de celles « qu’il vaut mieux perdre ».
Inspiré de la première grande révolte d’esclaves noirs dans la région du Nordeste à la fin du 17e siècle, dirigée par Zumbi, lointain descendant du Roi du Congo1 , La guerre des anges est un récit baroque qui laisse libre place à l’exagération, la surcharge émotionnelle, la tension et l’exubérance des sentiments ; un roman foisonnant à la structure rigoureuse - chaque chapitre est présenté comme l'acte d'une pièce de théâtre. Au rythme des raps de Jacaré et des réparties d’Ernesto, le chauffeur de taxi, José Eduardo Agualusa rapproche la révolte des morros de la lutte des communistes angolais contre le colonisateur portugais et met en évidence les contradictions d'une ville où les favelas, devenues « communidades », commencent à deux pas des quartiers chics où le racisme est toujours présent : « Certains d’entre nous se sont découverts noirs parce que on ne les a pas laissés être brésiliens ».
« Vous savez quelle est la différence entre l’Angola et le Brésil ? Tous deux sont des pays indépendants, certes, mais au contraire de l’Angola, le Brésil n’a jamais été décolonisé. Un prince portugais a proclamé l’indépendance su Brésil et depuis les blancs n’ont jamais abandonné le pouvoir. Où sont les noirs ? Où sont les Indiens ? Regardez bien : sur plus de cinq cents députés, onze à peine ne sont pas blancs. »
Réflexion sur le Brésil et sur la condition des Noirs dans ce pays, balançant entre un pessimisme radical - « A chaque instant de l’histoire révolutionnaire, les peuples se trouvent bernés et les idéaux balayés ». - et un relatif optimisme - « Il n’y a pas de fins heureuses, mais il y a des fins qui annoncent des temps meilleurs. » -, La guerre des anges rend hommage aux luttes sociales et politiques, au Brésil comme en Angola, qui laissent entrevoir la possibilité de sociétés meilleures. Soit une « espérance désillusionnée » pour emprunter le titre d’un article d’Ann Begenat-Neuschaefer paru en 2017 dans Etudes littéraires africaines.
Jose Eduardo Agualusa, La guerre des anges, trad. fr. de O Ano em que Zumbi tomou o Rio (2002), Paris, Metailié, 2007.
1 - Le titre original du roman, O Ano em que Zumbi tomou o Rio, « L’année où Zumbi prit la ville de Rio », y fait référence.