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Chaque samedi matin, depuis plusieurs semaines, le cadavre d’un homme noir, mutilé et totalement défiguré, est retrouvé dans un lieu public de Pretoria. Cette série de crimes impunis constitue une véritable provocation pour la police qu’un contexte électoral rend particulièrement sensible aux pressions politiques. C’est l’inspecteur du South African Police Service Francis Zondi qui est chargé de cette enquête difficile. Pour la résoudre, il va devoir se confronter une fois de plus à la réalité de la « Nation arc-en-ciel » : une population noire paupérisée dans un pays en proie à la violence ; des Blancs revanchards et nostalgiques ; d’anciens membres des forces spéciales sud-africaines engagées contre la guérilla communiste en Angola ou au Mozambique ; d’anciens partisans du MK, la branche armée de l’African National Congress (ANC), qui, tous, se sont fait « cocufier par l’histoire ». 

Cet enfant de Soweto à qui on ne la fait pas, que l’on soit blanc ou noir, policier brillant, surnommé Bronx depuis qu’il a fait un stage de profiler aux Etats Unis, croit surtout dans son intuition et sa ténacité pour démasquer le ou les meurtriers. Profondément humain, dénué de tout esprit de vengeance sociale ou raciale, porté par une foi qui l’aide à trouver un sens à la vie,  il sait  être sans pitié envers un Blanc dévoré par la cupidité comme envers la vieille logeuse de Soweto qui loue sa « porcherie » à plus pauvre qu’elle, ou pour ce jeune révolutionnaire congolais exilé  – « un merdeux bien-pensant et prétentieux » – qui profite de sa position pour recruter des mercenaires : le boulot de Zondi, c’est de « faire le ménage, pas la charité. » La compassion vient après.

Comme dans la plupart des romans policiers africains, la critique sociale accompagne la trame criminelle. L’originalité et la force de ce roman tient ici à ce que cette critique ne passe pas seulement par la description des maux multiples dont souffre la société sud-africaine : démocratie mise à mal, misère et chômage endémiques, corruption, criminalité grandissante, violences urbaines, affrontements ethniques, etc... Avec infiniment de talent et tout en maintenant l’intérêt du lecteur quant au dénouement de l’enquête, Louis-Ferdinand Despreez parvient à faire partager le regard lucide et sans complaisance que son héros pose sur cette société à laquelle il sait qu’il appartient et qu’il aime en dépit de tout, et le dénouement sordide de cette affaire criminelle n’y changera rien.

« Cette Afrique du sud, qu’elle soit affligée de la réductrice épithète de nouvelle ou d’ancienne, le capitaine Zondi l’aimait de toute son âme et de ses tripes, mais il la détestait de toute sa tête… » © Phébus, 2007.

On ne s’étonnera donc pas alors que, derrière le nom de Despreez se trouve un haut fonctionnaire sud-africain, compagnon de route de l’ANC et de Nelson Mandela, chargé de missions plus ou moins officielles dans différents pays d’Afrique, et qui a choisi d’écrire ce roman noir très peu politiquement correct dans un français le plus souvent académique, mais qui sait aussi se faire argotique, pour des descriptions et des commentaires d’un humour dévastateur qui ne sont pas sans rappeler Tom Sharpe : 

« Comme ce que j'écris dans mes romans n'est ni correct ni convenable, il m'a semblé que le français me permettait d'aller beaucoup plus loin dans mes imprécations. L'argot français permet de mettre de la distance entre les mots et les situations. Cela dit, j'ai commencé à traduire La Mémoire courte en anglais, et je ne vais pas me faire que des amis quand le livre sortira ici ! » © Wikipedia.

N.B. : Le Noir qui marche à pied (2008) propose la seconde enquête du superintendant Zondi (promu à la fin de La mémoire courte).

DESPREEZ Louis-Ferdinand (2006), La mémoire courte, Paris, Phébus.

Tag(s) : #Afrique du Sud, #Romans en français, #Afrique australe
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