Mma Ramotswe détective, le premier volet d’une longue série (le dernier roman est paru en 2021), a fait connaître Alexander McCall Smith – un Ecossais né en Rhodésie, aujourd’hui le Zimbabwe, par ailleurs spécialiste d’éthique médicale – et Mma Precious Ramotswe, la première dame détective du Botswana, « femme de constitution traditionnelle » et donc forte femme dans toutes les acceptations du terme. Mma exerce ses talents à Gaborone, la capitale, secondée par Grace Makutsi, sa secrétaire, et ne s’occupe que d’affaires familiales, maris volages et adolescents fugueurs, ou de celles relevant de l’escroquerie et de le petite délinquance (pour Mma, les crimes de sang sont du ressort de la police).
Elle était de constitution traditionnelle, après tout, et n'avait nul besoin de se soucier de la taille de ses vêtements, contrairement à ces pauvres névrosées qui se regardaient sans cesse dans la glace en se disant qu'elles étaient trop grosses. Qui était trop gros, en fait ? Qui était autorisé à dire à son voisin quel devait être son poids ? C'était là une forme de dictature imposée par les maigres et Mma Ramotswe n'avait aucune intention de s'y plier. Si les maigres devenaient trop insistants, les gros pourraient toujours s'asseoir sur eux pour les étouffer sous leur poids. Oui, ça leur apprendrait !
Pour cette première enquête, McCall Smith s’est inspiré du meurtre d’une jeune écolière, Segametsi Mogomots, dont le corps mutilé fut retrouvé en 1994 à Mochudi. Un drame qui a par ailleurs inspiré Les cris de l’innocente de Unity Dow et Deadly Harvest de Michael Stanley. Pour résoudre cette première affaire d’enlèvement et de meurtre rituel, Mma, en sus de sa réflexion, se fie aux précieuses informations qu’elle récolte lors de ses déplacements sur le terrain. Ses observations constituent le principal atout des romans, qui donnent au romancier l'occasion de décrire les charmes du Botswana, de ses coutumes et de ses habitants, et de faire de ce pays que Mma aime tant un personnage à part entière.
Mma Ramotswe ne voulait pas que l’Afrique change. Elle ne voulait pas voir son peuple devenir comme les autres, sans âme, égoïste, oublieux de ce que signifiait être africain, ou, pis encore, honteux de l’Afrique. Elle-même ne serait jamais rien d’autre qu’Africaine, jamais, même si un jour quelqu’un venait la voir en disant : « Tiens, prends une pilule, une invention évolutionnaire. Avale-la et tu deviendras américaine. » Elle refuserait. Jamais ! Non, merci. (2006, p. 230)
Personnage atypique – les héros récurrents du roman policier sont souvent des hommes – Mma Ramotswe apparait dans plus de vingt romans. C’est une femme sympathique et rassurante, accompagnée par son mari, Mr J.L.B. Matekoni, propriétaire du garage Tlokweng Road Speedy Motors, avec qui elle a adopté deux petits orphelins du Kalahari, et par Mma (Grace) Makutsi, sa secrétaire polyvalente puis assistante-détective. Sans oublier le souvenir qu’elle garde de son père, ancien mineur à Bulawayo, mort de la silicose, et dont elle a hérité un magnifique troupeau de bovins qu’elle a vendu pour créer et installer, non pas un commerce à la rentabilité certaine comme on le lui suggérait, mais son agence. L’exemple même de la manière dont les femmes africaines peuvent conjuguer attachement aux traditions dans ce qu’elles ont de meilleur et choix maîtrisé de la modernité.
Il a parfois été reproché à Alexander McCall Smith de « produire » des romans faciles aux intrigues superficielles. Traduits en près de quarante langues, ils rencontrent pourtant un joli succès. Avant tout parce que les enquêtes de la dame détective ne sont qu’un support, un prétexte à des développements sur les relations entre les individus ou les communautés, sur la vie quotidienne au Botswana et les traditions qui ne s'accommodent pas toujours de la modernité. Aussi parce que Mma fait toujours preuve d’une grande humanité, agit en « raccommodeuse de destins » plus qu’en justicière, quitte à prendre quelques libertés avec la légalité pour ne mettre ni les victimes ni même parfois les coupables dans l'embarras, mais pour au contraire les aider à se reconstruire et à repartir. Une humanité que l’on retrouve dans sa vie familiale. Enfin parce que, si elle aime réfléchir sous l’acacia devant son bureau de Gaborone en buvant une tasse de thé rouge, Mma Ramotswe se fie surtout à son sens de l’observation : ses déplacements sur le terrain, du désert du Kalahari au détroit de l’Okavango, sont ainsi autant d’occasions pour Alexander McCall Smith de vanter le charme d’un pays et de ses habitants qu’il connait bien et qu’il aime tout autant que son héroïne.
Alexander McCall Smith, Mma Ramotswe détective (The No. 1 Ladies' Detective Agency, 1998), © Paris, 10-18, Grands detectives, 2003.
La photographie ci-dessous fait partie d'un portfolio de 2016 de Letso Leipego, né en 1991 à Gaborone, au Botswana.
Collection particulière