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Rebecca est retrouvée morte dans sa baignoire, affreusement défigurée. Cet assassinat sauvage laisse planer bien des mystères, surtout que, dès le lendemain, la scène de crime est lavée à grande- au et la jeune femme incinérée. Rebecca était issue d’une des familles sucrières les plus riches et les plus respectées de l’Île Maurice et on peut compter sur son frère et les autorités pour éviter tout remous. Car, comme le dit l’opinion publique : « Comme tous les grands scandales entourant les familles blanches du pays, cela va finir dans la poubelle des mémoires défaillantes. » Sauf que Devina, la servante hindoue qui a élevé la jeune femme et qui était sa confidente, va se joindre à celles et ceux, « ses frères et sœurs de malheur », qui, aux obsèques, s’enflamment et demandent la vérité. Ce ne sera pas une tâche facile sur une île où les tensions politiques et personnelles sont liées à la religion et aux origines : « A Maurice, le malheur n’a pas d’odeur, mais il a toujours une couleur. »

Si un suspect, Raju, est vite arrêté et passe aux aveux, la communauté hindoue dont il est issu, menée par le pandit et le président du puissant mouvement Conscience hindoue n’entend pas en rester là. Car le jeune homme fait un coupable un peu trop idéal et son incarcération pourrait bien masquer un complot organisé avec la connivence de la police. Les esprits s’échauffent, les manifestations s’enchaînent et même le Premier Ministre, interpellé sur des questions qui commencent à porter atteinte à l’unité nationale doit s’en mêler. Quant à Devina, elle mène sa propre enquête avec l’aide de Jay, un ami instituteur, pour que, en l’absence de vérité, Rebecca ne meure pas une seconde fois.

Ce beau roman, qui mêle une enquête criminelle et des considérations sur la société mauricienne, a pour toile de fond les antagonismes entre les Blancs détenteurs des richesses, « une île dans une île », les Créoles, « petits Blancs misère », et les Hindous, majoritaires « dans un pays qui n’est pas à eux ». Dans cette société aux relations interethniques et interconfessionnelles fragiles, Devina combat pour la vérité qu’elle doit à une jeune femme qu’elle a toujours considérée comme sa fille. Mais, même si son initiative est prise au sérieux au plus haut niveau, peut-elle lutter à armes égales contre le pouvoir de l’argent et la respectabilité de notables mettant tout en œuvre pour sauvegarder les apparences d’une famille exemplaire que rien ne doit atteindre ?

Devina se termine sur une note amère. La fidèle servante ne parviendra pas à faire triompher la justice et, abandonnée et vaincue par les modérés et les tièdes, devra apprivoiser sa douleur. Quant à cette société mauricienne qu’il convient de manier avec précaution au risque d’en « trop distendre le tissu social », elle ignorera à jamais que ce qui a failli se transformer en combat politique avait pour origine un sordide conflit familial.

Même s’ils n’osent pas le dire ouvertement, entre les lignes des différents journaux, on peut lire à demi-mot que la mort de Rebecca ne mérite pas que soit mis en déséquilibre les rapports entre communautés. Elle ne doit pas être une raison pour fouiller dans les arcanes silencieux et sombres des communautés où se tapissent les haches de guerre qui ne demandent qu’à être déterrées.

Alain Gordon-Gentil, Devina © Paris, Julliard, 2009.

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Tag(s) : #Romans en français, #Ile Maurice, #Afrique de l'Est, #Clivages communautaires
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