Américain d’origine ghanéenne par son père, Kwei Quartey exerce la médecine en Californie. Il n'est donc pas surprenant qu'Epouses et assassins, la première enquête de Darko Dawson, inspecteur de la police criminelle d’Accra, tourne autour de la lutte contre le Sida. Une jeune étudiante en médecine, retrouvée assassinée près du village où vit sa famille, était justement engagée dans une campagne d’information et de prévention pilotée par le ministère de la Santé. L’occasion pour Dawson de revenir dans le village où vit sa tante et de faire la lumière sur la disparition de sa mère vingt-trois ans plus tôt.
Le thème de l’opposition entre modernité et tradition est ici très présent, autour des pratiques médicales et de l’influence des guérisseurs et des féticheurs. Une influence qui ne s'exerce pas uniquement dans les villages reculés mais aussi dans la capitale. Quartey s’intéresse également à la sorcellerie et aux accusations qui ne manquent pas de faire surface – souvent avec violence – lors de la disparition d’une personne. La mort, dans certains pays d'Afrique centrale mais aussi d'Afrique de l'Ouest1, n'est pas considérée comme relevant uniquement de causes naturelles (maladie) ou de la fatalité (accident). L’intention malveillante est privilégiée, ce qui conduit les proches du défunt à en chercher l’auteur pour obtenir réparation. Le coût, humain, social et financier est considérable ; comme l’écrit Tshitenge Lubabu (Jeune Afrique, juillet 2016) : « Une chose est indéniable : la croyance en la sorcellerie, en des pratiques occultes, cause beaucoup de tort à l’Afrique. Elle stérilise les esprits, annihile les efforts, divise les familles. »
Charles et trois autres hommes arrivèrent au côté d’Elizabeth pour la protéger. Après une embardée, le cercueil reprit sa route. Dawson comprit ce qui venait de se passer. Cette fois, il connaissait la coutume. Quand le cercueil était « penché » vers un certain bâtiment, cela signifiait que la personne qu’on associait à cet endroit était responsable de la mort du défunt, et donc, le plus souvent, que la sorcellerie y était pour quelque chose. Autrement dit, quelqu’un essayait de s’en prendre à Elizabeth. (2009 : 275).
L'auteur se livre également à une longue réflexion sur la pratique coutumière des « trokosi » ou épouses des dieux (d’où le titre original du roman), ces jeunes filles offertes par leur famille comme esclaves domestiques et sexuelles à un prêtre féticheur en expiation d’une faute. Une pratique que dénonce Quartey par la voix de Darko Dawson mais qui perdure, notamment au sein de la communauté éwé du Ghana, bien qu'elle ait été déclarée illégale en 1998.
Quartey se tire très bien de cette enquête mêlant étroitement présent et passé. La trame policière tient la distance même si le lecteur attentif ne sera guère surpris par sa conclusion. Bien que le rythme ne soit pas particulièrement haletant, les fausses pistes et autres erreurs d’appréciation contribuent à repousser la résolution de l’énigme. Ceux qui ont aimé ce roman africain de procédure peuvent découvrir les quatre ouvrages qui lui font suite dans leur version anglaise.
1. Cf. Sénégal, de Christian Saglio (Grandvaux, 2004, p. 128)
Kwei Quartey, Epouses et assassins (Wife of the gods, 2009) © Payot et Rivages, 2009.