Le major Tsham Sakayonsa aurait dû prendre les gris-gris trouvés devant sa porte un peu plus au sérieux ! Lui « qui charriait la gent fétichiste, les marabouts et les maraboutés, les tronches vouées au maraboutage » a eu beau faire intervenir un aumônier papiste pour pratiquer exorcisme en règle, cela ne l'a pas l’empêché de se trouver nez à nez avec un poids lourd des FAZ. Ni son Austin Mini ni lui n’en réchappent !
Voici donc Kizito, dit Zito, frère du défunt, obligé de quitter Paris pour Kinshasa afin d’assister aux obsèques. Avec l’idée de repartir sitôt cette formalité accomplie. C’est mal connaître l’Afrique, où tout ce qui touche à la mort prend une importance extrême. Aspiré dès son arrivée à l’aéroport dans une succession de déboires et de maraboutages, Zito, « Euroblack » rationaliste, devra s'assurer les services de la SOGA-7, une société de sécurité et de surveillance dirigée par un expat anglais plus vrai que nature pour enquêter sur la mort mystérieuse du major.
— T’as vraiment du bol, lui susurra-t-il en piochant sur les 10 000 FF des obsèques. Bicause je peux te coffrer pour l’importation frauduleuse d’une monnaie étrangère ; un crime économique passible d’un long séjour au gnouf. Mais on est cools, puisqu’on se partage moitié-moitié, solidarité oblige.
Le requin empocha quelques billets, en refila d’autres à ses compères. Babines frémissantes et narines dilatées, il détendit les bras dans un geste seigneurial, remit le reste au client. La mine désabusée de celui-ci lui arracha sa première BA de la journée :
— Fais pas cette bobine, camarade : t’a encore de quoi mastiquer, jouer au croque-mort, voire ambiancer !
Il faut de plus faire face aux mœurs et aux usages du pays après quinze ans d’absence. Zito a beau se méfier de tout et de tous, il n’en revient pas de toutes les tuiles qui lui tombent dessus : racket organisé (fonctionnaires divers et de tous grades), extorsion sous la menace (voyous en tous genres), intimidation (femmes vénales). Dans ce monde zaïrois de pouvoir arbitraire et de fric, il est difficile de trouver son chemin, surtout quand la sorcellerie s’en mêle, comme ce fut le cas pour le major :
— Qu’est-ce-qui a pu le pousser à ces diableries ?
Contrer les sortilèges, préserver sa position sociale, gérer le cours de sa carrière, neutraliser ses chefs. Un programme de survie. Les dangers encourus au cours des opérations militaires avaient créé chez lui un autre besoin : jouir de l’invulnérabilité. En clair, passer invisible devant un camp ennemi, feinter les balles. Ils sont tous pareils, déplora Maïsha avec amertume. Tous. Les uns cherchent à dominer les autres. Et vice versa.
Portrait sarcastique du Zaïre des années 90 et du cynisme de ses dirigeants « kleptocrates », Sorcellerie à bout portant est une plongée dans la vie quotidienne d’une population en grande difficulté pour qui le fatalisme reste l’ultime rempart contre la dureté du quotidien. Un monde de violence où survivre à tout prix entraîne corruption généralisée et magouilles de toutes sortes, racket et violence. Question style le lecteur est gâté : le mélange d’argot français, de verlan et d’expressions kinoises (glossaire fourni en fin de volume) donne naissance à une langue imagée et fleurie. Un peu trop peut-être quand Achille F. Ngoye se laisse emporter pas son propre lyrisme aux dépens de l’intrigue. Mais Sorcellerie à bout portant reste un excellent polar !
Achille F. Ngoye, Sorcellerie à bout portant © Gallimard, « Série noire », 1998.