C’est dans la rue et les transports collectifs de Libreville que Janis Otsiemi recueille les anecdotes et les expressions imagées que l’on retrouve dans ses romans. S’il n’a pas oublié les proverbes que lui enseignait son grand-père, c’est l’actualité gabonaise qui forme le fond des investigations des inspecteurs Koumba et Owoula de la Police judiciaire et du lieutenant Boukinda et de son adjoint Envame, de la Direction générale des recherches de la Gendarmerie. Enquêtes qui se recoupent parfois, ce qui n’est pas pour réjouir les intéressés, les relations entre les deux services étant sur la base du « je t’aime, moi non plus ».
Les dites-enquêtes portent sur des délits perpétrés dans la capitale gabonaise : braquages, cambriolages, agressions et violences conjugales, mais aussi chantage et blanchiment d’argent. Bref, la routine, mais quand s’y ajoutent le trafic d’armes, la corruption, l’assassinat de prostituées par le premier serial killer du pays et des meurtres rituels d’enfants commandités par un politicien en quête de succès électoraux, la machine s’emballe. Chacun a à cœur de réussir, car il y va du prestige des services et surtout de ce que cela va rapporter en termes de gains aussi juteux qu'illégaux! Nous sommes là au cœur des premiers romans de Janis Otsiemi : tout se monnaye, tout s’achète, y compris le silence de ceux qui sont censés faire respecter la loi. Et flics et gendarmes y trouvent largement leur compte.
« Quand Owoula fut de retour, Koumba le mit au parfum de la combine. Le gars ne parut guère étonné. Koumba comprit que son collègue avait travaillé Reteno en solo. Il fila à Owoula la moitié de la somme qu’il avait reçue. Janis Otsiemi - Le chasseur de Lucioles. © Editions Jigal 2012.
La bouche qui parle ne mange pas, Le chasseur de Lucioles, African tabloid, Les voleurs de sexe (tous publiés chez Jigal entre 2012 et 2015) ont pour cadre Libreville, la ville moderne étalée en bord de mer, avec son Palais présidentiel, ses grands hôtels et ses commerces, mais aussi ses quartiers informels et ses bidonvilles où survit tant bien que mal une grande partie de la population et où règnent trafiquants et aigrefins de toutes sortes. Sans oublier les bars et les nombreux motels de la capitale, lieux de rendez-vous assidûment fréquentés par les amateurs de « cuisse tarifée », les héros d'Otsiemi n’étant pas les derniers.
Le roman policier africain est surtout connu par les auteurs sud-africains et reste encore un genre assez rare en Afrique francophone. Il prend ici une dimension extrêmement sombre, tant par la nature des crimes évoqués que par l’image qu’il donne de la société gabonaise et de ses errements. Car dans les romans de Janis Otsiemi, on ne se préoccupe pas de séparer le bien du mal : seule la réalité l’emporte, crue et amère. Nous sommes tout à fait dans ce que définit Didier Daeninckx, « ce roman un peu brutal, un roman qui est en prise avec la réalité sociale, qui n'ignore pas soixante-dix pour cent de la population d'un pays, c'est à dire, les gens qui travaillent, les gens rejetés, les gens brisés par le système scolaire… ».
« Koumba ne lui avait pas demandé sa carte d’identité nationale car il savait d’expérience que c’était un étranger comme la plupart des taximen qui écumaient les rues de Libreville. Un pigeon à plumer. C’était un Béninois. Les types étaient connus dans la capitale pour être des « peignes afros ». Et des insolents. Mais avec Koumba, il allait devoir nicher en veilleuse sa grande gueule et mettre la main à la poche. Et pas pour des clopinettes. Mais ça, il ne le savait pas encore, le pauvre indigène ! » Janis Otsiemi – La bouche qui parle ne mange pas © Editions Jigal 2012 .